La gourmandise est un vice, mais dans le cas du chocolat on sâen défend, on sâen protège, on le protège lâobjet de notre désir ! Cette matière à désirer est à penser aussi. Ce que, chaque jour que Dieu fait, comme on dit, lâartiste chocolatier et entrepreneur Patrick Roger nous prouve en maniant, sculptant et créant grâce à lâadorable fève. Il faut certainement être lâami des dieux pour sâadonner à ce vice sans craindre leur foudre. On lâenvie…
Son attachée de presse aime à le décrire ainsi : « Artiste, artisan, chef dâentreprise⦠Patrick Roger est avant tout un homme de passion. Le chocolat est sa matière à penser, rêver, créer⦠un véritable vecteur à communiquer, partager, voyager⦠Et peu importe le format ! Quâil sâagisse de créer des miniatures aux saveurs ciselées ou dâériger des sculptures XXL qui sâexposent dans les vitrines de ses dix boutiques, et aujourdâhui dans des centres dâart ou des musées, il est bien toujours question du même et goûteux ingrédient, dans lequel il semble être tombé.
Mais quâest-ce qui fait courir Patrick Roger ?
« Câest une bonne question quand on connaît lâhomme féru de vitesse et de sensations fortes, aimant sâessayer en moto sur les circuits ou piloter un hélicoptère. Tout est question de précision, se plaît-il à dire, ce qui en fait lâun des meilleurs chocolatiers de ce début de xxie siècle. » Le commentaire de Jean Todt, qui a préfacé 100 degrés 5 (éditions La Fabrique de lâÃpure) â le magnifique ouvrage de photos publié par le chocolatier sur son parcours à travers ses voyages dans le monde, ses sculptures en chocolat, ses recettes et ses combats pour défendre la nature â décrit bien ce Patrick Roger artiste, chef dâentreprise iconoclaste, homme avide de culture, dâart et dâarchitecture, personnalité sauvage autant que réservée, qui veut toujours aller plus loin.
Rien ne prédestinait le jeune Patrick à entrer en chocolaterie comme on eut dû le faire à une époque en religion. Après une année scolaire catastrophique à la fin de la 3e, ses parents le collent en apprentissage en pâtisserie à Châteaudun. La formation est rude et les patrons aussi, et câest tant mieux. Il sâaccroche et ça paie. En moins de trois mois, il caracole premier. Le coup de pouce du destin se manifeste deux ans plus tard. Pierre Mauduit, célèbre pâtissier traiteur, également originaire du Perche, embauche les deux meilleurs apprentis de chaque région. Le jeune homme est mis dâoffice à la pâtisserie. Mais il ne sâimagine pas chouchouter des religieuses et des éclairs toute sa vie. Pour le punir de son manque de motivation, direction la chocolaterie et le chocolat, la gourmandise la plus désirable au monde. Le destin avait frappé. « Je nâai pas choisi. Je me suis fait virer de lâécole de pâtissier. Mais jamais je nâaurais pu imaginer que ce renvoi me mènerait à tout cela ! » se souvient-il en couvant des yeux sa toute nouvelle boutique rue de Sèvres, voisine dâHermès, lors de son inauguration en mai 2021.
à 18 ans, jâai tout de suite compris que jâallais pouvoir bâtir quelque chose. Câest la matière qui mâa révélé.
Dès le premier contact avec le chocolat, câest la révélation, une histoire dâamour. Un véritable coup de foudre pour la matière qui lâincite à se dépasser. « Le chocolat, câest beaucoup dâémotion, mais aussi toute une philosophie, un état dâesprit. à 18 ans, jâai tout de suite compris que jâallais pouvoir bâtir quelque chose. Câest la matière qui mâa révélé. Je venais de la campagne, je nâavais pas fait dâétudes supérieures, je ne parlais pas anglais, jâai pris lâavion à 22 ans pour la première fois, je nâai pas visité de musée avant 24 ou 26 ans. Toutes ces découvertes ont été très longues, je nâavais aucune culture ou éducation, hormis celle que mes parents boulangers mâont apportée : la valeur du travail sept jours sur sept. Mais tout ça mâa construit. Jâai tout fait par instinct. Et aussi avec un petit grain de folie. La chance que jâai eue câest dâavoir eu une liberté totale, dâêtre resté moi-même et de ne pas mâêtre posé de questions. »
« Je suis artiste en tant que chocolatier. Sculpteur câest encore un cap au-dessus. Lâart apporte une vision à un homme ordinaire et cela amène une vie extraordinaire. »
On confie alors à cet amateur de moto, de vitesse et de sensations fortes, des tâches minutieuses et des pièces artistiques, un décor de scène pour Serge Gainsbourg notamment, la raquette géante de Noah à briser en trois secondes pour être dévorée, et des puzzles en chocolat pour Jean-Paul Gaultier. Dix ans vont passer pendant lesquels il ira de poste en poste avant quâil nâemporte le grand prix international de la chocolaterie en 1994 grâce à lâAmazone, une demi-sphère dans les tons verts au chocolat croquant, un savant mélange de citron vert du Brésil et de caramel (plus de 10 millions de pièces vendues à ce jour). Puis en 1997, il déniche une boutique-atelier à Sceaux. Dès les premiers jours ses chocolats font recette, et trois mois plus tard dix-huit personnes travaillent à ses côtés. Câest Noël à tous les étages. Les clients sont déjà accros aux Instincts, petits rochers pralinés « orgasmiques » selon certains, et patientent pour se faire servir tout en admirant les Åuvres chocolatées de lâartiste exposées dans les vitrines. En 2000, il remporte le titre de Meilleur Ouvrier de France Chocolatier, récompensant un Harold, effigie dâun planteur en Amérique du Sud. Détail qui change tout : le colosse de 62 kg ne tient que sur la pointe des pieds⦠De la haute voltige.
Du chocolat au bronze
Sans doute aurait-il simplement poursuivi sa carrière de maître chocolatier si une cliente ne lâavait, vingt ans auparavant, emmené à la Fonderie de Coubertin. Câest alors quâil commence à acheter quelques petites sculptures et que lâidée lui vient de sculpter à son tour dans des matières plus durables et solides. « Jâai vite compris que je pouvais pérenniser mon travail. » Harold est la première pièce transposée en bronze, par la Fonderie Susse de Malakoff. La sculpture devient dès lors pour lâorfèvre du cacao (il en mange « jusquâà 1 kg par jour ») une véritable passion. Comme dâautres modèlent la glaise, taillent la pierre ou le bois, Patrick Roger sâexerce, lui, à transformer la matière chocolat en quelques formes qui se couleront en bronze ou aluminium, marbre ou béton, et sâexposeront partout en France et à travers le monde. Ses sources dâinspiration, il les puise dans ses nombreux voyages, en Afrique ou Amérique du Sud (Madagascar est son véritable pays de cÅur). Chasseur dâimages, amoureux des arbres et défenseur des grands animaux sauvages, il aime les sculpter en taille XXL.
à lâoccasion de la 4e édition de la Biennale de Montreux en Suisse, en 2015, Patrick Roger exposait au-dessus des rives du lac Léman Molaire, une sculpture en fonte dâaluminium. Quelques mois plus tard, pour la réouverture du musée Rodin et en hommage à ce grand sculpteur, il réalise une Åuvre faramineuse en son matériau sombre et fétiche, interprétation du célèbre Monument à Balzac. La pièce la plus impressionnante jusquâici réalisée sâappelle Hippos, une sculpture de 7,80 x 2,40 m fondue en aluminium, et a été notamment exposée chez Christieâs à Paris en janvier 2017.
Patrick Roger, câest une création sans limites aucune, qui peut revisiter lâart thématique autant quâexplorer de nouvelles formes de structures filaires, sâamuser du portrait, sâinspirer de la nature ou sâéchapper vers une nouvelle dimension. « La sculpture câest lâart le plus dur à percevoir, on ne parle pas de trois dimensions mais de neuf dimensions », rappelle celui quâon appelle désormais le Rodin du chocolat et qui a conçu à ce jour 340 sculptures.
Vous définissez-vous plutôt comme un chocolatier, un sculpteur ou tout simplement un artiste ?
Aujourdâhui, quand on lui demande : « Vous définissez-vous plutôt comme un chocolatier, un sculpteur ou tout simplement un artiste ? » Cet électron libre qui travaille en virtuose aussi bien le chocolat que lâacier ou la vigne, répond : « Ãa mâemm⦠votre question, je suis artiste en tant que chocolatier. Sculpteur câest encore un cap au-dessus. Lâart apporte une vision à un homme ordinaire et cela amène une vie extraordinaire. » Et le chocolatier qui fête ses 53 ans ajoute aussitôt : « Je suis aussi chef dâentreprise avec des responsabilités. Quand jâai démarré, je nâavais aucune vision de lâavenir. Je nâavais pas de business plan, le désir dâentreprendre est venu petit à petit. Aujourdâhui, jâai 50 employés et 11 magasins, 10 en France. Nous venons dâen ouvrir un nouveau à Moscou. » Lâavenir ? Mieux faire connaître son travail dâartiste. « Je rêve du Centre Pompidou ou de la fondation Vuitton, et surtout de continuer à créer en toute liberté. »
Article tiré de la revue INfluencia N°37 sur Le désir
Â
Â
Â
source : www.influencia.net