The Good : Souvent mise en sourdine par lâurgence climatique, la question sociale est pourtant au cÅur de la transition des entreprises. Que constatez-vous de notable dans le paysage entrepreneurial français et mondial en ce qui concerne les personnes LGBT+ ?
Alain Gavand : Aujourdâhui, on constate deux grands engagements structurants sur la thématique LGBT+ dans le monde. On note dâabord que 400 grands groupes (dont les GAFA) soutiennent les normes de conduites pour lutter contre les discriminations initiées par les Nations Unies. Une donnée bénéfique à la question LGBT+. En France, 170 entreprises et grands groupes sont signataires de la charte dâengagement LGBT+ de lâAutre Cercle : Accenture, IBM, BNP Paribas, Orange, Schneider Electric, ainsi que des collectivités comme la Ville de Paris ou encore Dijon. Mais si ces données sont encourageantes, ces 170 entreprises ne représentent que 2 millions de salarié-es sur une population active qui est de 30 millions. Nous pouvons nous réjouir mais cela reste encore trop peu au regard des autres engagements dâinclusion comme lâégalité femmes/hommes ou le handicap. La question LGBT+ en entreprise reste un sujet nouveau qui sâinvite depuis quelques années et arrive en deuxième position par rapport aux crises.
The Good : Avec la question de lâinclusion se pose celle des critères dâembauche : comment ne pas basculer vers une discrimination positive qui fait des minorités un critère dâembauche aux delà des qualités professionnelles ?
A.G. : Je pense que nous sommes encore loin de cette question en ce qui concerne lâinclusion LGBT+. Notons quâ1 sur 2 nâest pas encore visible dans son entreprise. 1 sur 4 déclare faire lâobjet de LGBTphobie. Aussi, 1 sur 6 se dit discriminée pour son identité de genre ou sexuelle au travail.
Le sujet est donc pour le moment de prévenir les discriminations en recrutement mais surtout dans la vie dâentreprise. La problématique majeure qui se pose est comment inclure cet enjeu dans lâorganisation de lâentreprise.
Il est aussi intéressant de voir quâun changement de paradigme se dessine. Un certain nombre de LGBT+ craint la discrimination mais, de plus en plus décident aussi de ne pas subir et de choisir leur organisation en fonction de son aspect LGBT+ friendly. Lâidée est alors non plus de se cacher mais de choisir une entreprise qui offre un environnement inclusif et sécurisant.
Cette question de bien-être pour tous et toutes au travail est à intégrer dans la marque employeur des entreprises en direction des nouvelles générations.
Ce nâest évidemment pas par hasard si les entreprises sont de plus en plus nombreuses à souligner leurs engagements de manière publique ! Ces structures considèrent quâelles doivent adresser un message, rassurer et ne pas passer à côté de talents LGBT+, et elles ont raison.
The Good : Pouvez-vous nous parler des critères de votre barème ?
A.G. : Lâidée de cet événement est de mettre en avant des personnes qui inspirent, des figures dâidentification par leur succès professionnel, qui adressent des messages aux personnes LGBT+ mais aussi aux autres pour sortir des stéréotypes.
Chaque années, 4 catégories de talents sont représentées à lâévénement âles Rôles Modèles LGBT+ et Allié·e·sâ :
- Les Dirigeant-es LGBT+: chez LâOréal, LVMH, Orange, etc. Ces personnes ont impact fort car leur message est diffusé auprès de milliers de salarié-es.
- Les leader-euses LGBT+ : Ils et elles créent des réseaux LGBT+, mettent en place des actions dâinformation, des événements.
- Les LGBT+ 1er emploi : des jeunes qui se rendent visibles via des actions ou une vie associative active
- Les Dirigeant-es Allié-es, qui sâengagent sur lâinclusion
The Good : Le métier de queer consultant est-il selon vous à être intégré au sein de toutes les entreprises ?
A.G. : Dans un récent échange, nous avons demandé à un cabinet dâexpliquer lâintégration des questions LGBT+ dans les marques. Pour ce cabinet, le sujet nâest pas seulement RH mais concerne bien toute lâentreprise dans lâintégration des thématiques, comme le traitement de lâinformation, notamment à la télévision avec la diversification des programmes, ou dans le secteur bancaire avec BNP Paribas qui, via une carte aux couleurs LGBT+ à donné lâoccasion à sa clientèle de donner une rétribution à lâassociation SOS Homophobie, et qui allège la question dâidentité de genre dans les démarches bancaires administrative pour les personnes transgenres.
La lutte contre les LGBTphobies rayonne bien au-delà de la question de lâaccès au droit. Il sâagit aussi de la marque, de la relation client, ou encore des actions publiques.
Parmi nos lauréats, nous comptons une incroyable diversité dâactions en faveur des marques, de lâinformation ou encore de la culture.
The Good : Parmi les centaines de profils et entreprises que vous avez vu passer, lesquels incarnent un possible changement du monde professionnel vers un horizon plus égalitaire ?
A.G. : Je pense dâabord à La Maison Francis Kurkdjian, une filière luxe du groupe LVMH, dont le dirigeant LGBT+ est Marc Chaya. Il explique quâil ne faut pas en vouloir aux personnes LGBT+ de ne pas se rendre visible mais plutôt en vouloir à lâenvironnement et à lâentreprise. Câest à elle de créer le climat approprié pour que ces personnes puissent se rendre visibles si elles le souhaitent.
Je pense aussi à Sébastien Vienot, cadre chez Microsoft. Invisible pendant 18 ans en entreprise, il raconte comme il devient difficile, le temps passant, de faire son coming out à ses collaborateurs, le mensonge, ou lâomission face aux questions personnelles brisant parfois la confiance. Le fait que son entreprise sâengage lui a cependant permis de se rendre visible. Cette histoire rend bien compte de lâimportance de lâengagement de lâentreprise, qui devient sécurisante pour les salarié-es. Câest ici tout le sens de notre action au sein de lâAutre Cercle : favoriser l’engagement de lâentreprise via des dispositifs dâalerte, une sensibilisation, la mise en place de chartes etc.
Côté action, je pense à BNP Paribas, entreprise historique sur le sujet, qui développe un réseau LGBT+ inspirant et de nombreuses actions.
Chez LVMH, une des actions consiste au « testing » : lâenvoi des faux CV mentionnant des activités associatives LGBT+ aux recruteurs afin de vérifier que ces derniers ne discriminent pas sur ces critères.
Aussi, le Groupe Legrand qui compte pas moins de 40 000 salarié-es. Nous avons pu entendre le récit dâune personne transgenre qui a été très accompagnée par lâentreprise dans sa transition, en termes de communication vis à vis des équipes, mais également en délivrant une attestation de genre pour lâaider dans son changement d’Ãtat Civil.
Il y a aussi de plus en plus dâentreprises qui mettent en place des politiques allié-es LGBT+ : Aviva, Accenture, BNP paribas : ils et elles développent des guide des allié-es, des conférences de sensibilisation ou encore des discussions intranet comme chez Sodexo.
Enfin, lâAutre Cercle a développé un « Barométriphobe », représentatif de la population française, qui offre la possibilité aux signataires de notre charte de faire de leur entreprise un terrain dâenquête en sondant leurs employé-es. Par exemple, Thalès à demandé à ses salarié-es dây répondre et a ainsi pu benchmarker son environnement de travail et les choses à mettre en place.
The Good : Au regard des 94 lauréat-es de cette édition, quels key-learnings ?
A.G. : Toutes les candidatures nous ont permis de donner une radiographie des personnes LGBT+ en France en entreprise. Mon gros regret est que les chiffres sont parlants et ne sont pas que positifs : le rôle modèle ou allié est dâabord un homme, vivant principalement en Ile-de-France, dans une entreprise de plus de 300 salarié-es, et dans le secteur privé. Autrement dit, seulement 35% de femmes, ce qui pose le problème de la visibilité lesbienne, 2/3 en Ile-de-France, et 10% de lauréat dans le secteur public seulement. Côté âge, seulement 11 jeunes se sont présentés. Cela montre bien la difficulté de cette transition.
En revanche, sur une note plus positive, câest la 1ère fois que les entreprises françaises devancent les anglo-américaines : 65% des lauréats. Ces évolutions ne sont donc plus seulement lâapanage des grands groupes. Au-delà du luxe ou de la mode, les industriels eux aussi sâavance.
source : www.influencia.net