Il a cependant un effet pervers, car il renforce les pressions sociales menant à lâinsatisfaction corporelle et perpétue le mythe du corps parfait. Cette tendance à rechercher la minceur est tellement répandue quâelle en devient « normative », ce qui amène certaines personnes à adopter des conduites parfois extrêmes afin de modifier leur corps : régimes à répétition, hyperactivité physique, etc. Or, ces comportements peuvent donner lieu à des troubles avérés tels que des troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimieâ¦), lesquels ont des impacts importants sur la santé physique et mentale.
Les pressions poussant les individus à essayer dâatteindre le corps « idéal » existent depuis longtemps, néanmoins les réseaux sociaux leur donnent une puissance et une intensité particulières. Si lâon a vu récemment émerger un mouvement « body positive », qui a pour but dâencourager les représentations plus réalistes et sâéloignant des idéaux de minceur, celui-ci peine à diversifier le paysage des médias sociaux. En outre, il continue souvent, malgré lui, à mettre lâaccent sur lâimportance de lâapparence physique</a>.</p>
Les réseaux sociaux, force de vente pour un idéal de minceur et de muscles
De nombreux travaux ont montré que les médias traditionnels (magazines, télévision, etc.) véhiculent de fortes pressions incitant à essayer dâatteindre des idéaux corporels idéalisés et parfois irréalistes, tant pour les hommes que pour les femmes. Les images du corps quâils diffusent, inatteignables et irréalistes (notamment parce que retouchées) mènent à lâinternalisation de lâidéal « mince et musclé » (lâidéal dâattractivité physique social actuel), puis à lâinsatisfaction vis-à -vis de sa propre image corporelle.
Face à cette insatisfaction corporelle, deux types de réactions peuvent émerger. Certaines personnes sâimposent un contrôle alimentaire strict, en ouvrant la porte notamment à des troubles de lâalimentation. Dâautres se lancent dans une pratique excessive de lâexercice physique, tout en manquant de cadre et de préparation physique.
Ces réactions dépendent de la mesure dans laquelle lâindividu « adhère » aux idéaux de séduction et dâattractivité définis par la société : le degré dâadhésion influe en effet sur lâengagement dans des comportements destinés à se rapprocher desdits idéaux. Un processus clé à lâÅuvre est la comparaison sociale, câest-à -dire la tendance à comparer sa propre apparence à celle dâautrui, de manière explicite ou implicite à se comparer à quelquâun qui correspond plus que soi à lâidéal que lâon cherche à atteindre, amplifierait le lien entre lâexposition aux images médiatiques irréalistes du corps et les comportements ayant pour objectif de modifier son apparence.
Si lâinternalisation de lâidéal mince et musclé est bien décrite dans le contexte des médias traditionnels, ledit idéal émerge comme encore plus puissant dans le contexte des médias sociaux, sans doute en raison des caractéristiques qui leur sont propres et contribuent à leur succès.
Satisfaction corporelle et retentissement émotionnel
En plus du contenu commercial qui y est diffusé, les médias sociaux permettent aux usagers de contribuer au contenu (photos, vidéos, etc.). Ces médias sont également interactifs, en ce sens quâils permettent aux usagers de recevoir et poster des commentaires.
Par ailleurs, lâexpérience de chaque usager y est personnalisée par apprentissage automatique : en fonction de ses intérêts, qui sont appréhendés au travers de son activité précédente (clics, likes, etc.), des algorithmes proposent des contenus toujours plus extrêmes sur un même thème, avec une composante affective croissante, pour éviter que lâusager ne se désengage.
En se focalisant sur la satisfaction corporelle et en activant ainsi des émotions fortes, les posts des réseaux sociaux réduisent la capacité à faire des choix orientés vers des comportements favorables à la santé. Perception du corps, émotions, choix éclairés â sont des composantes fortes du modèle triadique de la régulation des émotions.
Ainsi, les réseaux sociaux peuvent participer aux liens déjà connus entre les troubles de lâimage du corps, la gestion des émotions et les comportements alimentaires. Se comparer, plus ou moins fréquemment, à dâautres corps idéalisés, faire face aux contenus, aux « likes », aux commentaires, etc. a un retentissement émotionnel quâil faut être à même de réguler. Chez certains, cette situation entraîne un risque de développer à minima, une insatisfaction corporelle passagère, voire des éprouvés émotionnels envahissants plus durables, sâaccompagnant de comportements problématiques.
Régulation des émotions et développement de troubles des conduites alimentaires
Pour mieux comprendre lâimpact que peuvent avoir les réseaux sociaux sur les troubles de lâimage du corps ainsi que sur de possibles perturbations alimentaires, il peut être intéressant de sâappuyer sur un modèle explicatif développé dans le cadre des problématiques addictives.
Les modèles des états de dépendance actuellement dominants reposent sur une modélisation en deux branches (« dual process models »). La prise de décision concernant les problématiques addictives est déterminée par la force respective de deux systèmes distincts, mais en interaction.
Le premier est le « système émotionnel/automatique », qui repose sur les structures limbiques du cerveau (hippocampe, agdmydale, gyrus cingulaireâ¦), particulièrement impliquées dans le traitement émotionnel des stimuli. Ce système joue un rôle dans le traitement impulsif des stimuli, et déclenche des réponses automatiques basées sur lâapprentissage émotionnel. Chez un patient souffrant dâaddiction, il est responsable du comportement « automatique » dâapprochement du produit en anticipation dâune émotion positive.
Le second système est le « système réflectif ». Ce système de contrôle et dâinhibition implique les régions frontales, qui interviennent dans le traitement cognitif des stimuli. Il sâappuie sur la mémoire et les fonctions exécutives, et initie une réponse délibérée et contrôlée. Ce système permet notamment dâadopter du recul sur nos comportements et de prendre des décisions en étant moins contrôlé par les émotions. Dans le cas dâune addiction, il est impliqué dans la capacité de prendre la décision de ne pas consommer un produit.
Selon les modèles des états de dépendance actuels, les troubles addictifs apparaissent lorsquâil y a un déséquilibre entre le système émotionnel/automatique et le système réflectif. Le système impulsif se retrouve suractivé â par exemple, par une exposition répétée à des stimuli liés à lâobjet de la dépendance et la récompense qui lâaccompagne â alors que le système de régulation réflectif est sous-activé.
Bien quâexpérimentalement robustes et largement acceptés, ces modèles à double processus nâintégraient pas le système dâintéroception, autrement dit la capacité à évaluer de manière exacte sa propre activité physiologique (« reconnaître ses émotions » par le biais de leurs manifestations corporelles : par exemple, faire le lien entre un état dâanxiété et la perception de lâaccélération de son rythme cardiaque et de sa respiration). Des travaux récents ont proposé une réinterprétation en profondeur des modèles des états de dépendance en intégrant lâintéroception, qui semble être un processus important dans les troubles addictifs.
Intégrer le système dâintéroception est dâautant plus important que ce dernier pourrait, en exacerbant lâactivité du « système émotionnel » et en réduisant conjointement lâefficacité du « système réflectif », être impliqué dans une mauvaise compréhension des signaux corporels.
Selon le nouveau modèle des états de dépendance à trois composantes, lorsquâune personne est stressée, ses capacités intéroceptives (percevoir les messages corporels comme la faim ou la satiété) et ses ressources attentionnelles et exécutives (sa capacité à contrôler ses comportements alimentaires) seraient diminuées, ce qui viendrait alimenter son trouble addictif.
à long terme, lâensemble de ces facteurs (rôle des médias sociaux qui véhiculent lâidéal mince et musclé et la frustration associée, lâinternalisation de cet idéal, la difficulté de gestion des émotions entraînant des comportements problématiques en lien avec cet idéal de minceurâ¦) peuvent conduire au développement de troubles des conduites alimentaires dommageable pour la santé.
Les conséquences pathologiques du surinvestissement de lâapparence physique
Il existe principalement trois troubles des conduites alimentaires : lâanorexie mentale, la boulimie nerveuse et lâhyperphagie boulimique.
Lâanorexie mentale correspond à une perte significative de poids par rapport à la taille et lââge dâun patient, assortie dâune peur intense de prendre du poids. Elle aboutit à un amaigrissement et une dénutrition qui peut être sévère. La boulimie nerveuse est caractérisée par une peur intense de prendre du poids et de devenir gros, qui se traduit par des épisodes récurrents de compulsions alimentaires et des comportements compensatoires inappropriés : vomissements provoqués, ingestion de laxatifs, exercices physiques intenses, etc. Lâhyperphagie boulimique correspond à des épisodes récurrents de compulsions alimentaires sans comportement compensatoire. La boulimie nerveuse et lâhyperphagie boulimique peuvent concerner des personnes en surpoids ou qui souffrent dâobésité, et avoir des répercussions physiques importantes.
Lâun des facteurs communs entre ces trois pathologies concerne lâimportance excessive accordée au poids, à lâalimentation ou à la forme du corps, même si lâorigine de ces troubles est multifactorielle. Ils sont particulièrement invalidants, conduisant à une faible qualité de vie, non seulement pour les personnes concernées, mais également pour leurs proches.
Outre ces pathologies avérées, les troubles des conduites alimentaires peuvent conduire à entreprendre des régimes à répétition, à adopter des comportements alimentaires rigides, se livrer à des purges ou à lâhyperphagie, ou entreprendre des exercices physiques compulsifs, le tout affectant négativement les relations sociales et la sphère socioprofessionnelle.
Lâinsatisfaction corporelle peut aussi mener à des comportements à risques visant à modifier dâautres dimensions de lâapparence, en ayant recours par exemple à la chirurgie esthétique (peu soumise à la surveillance médicale), ou à des produits dangereux.
Comment réduire lâimpact émotionnel des réseaux sociaux ?
Pour limiter le risque de développer des troubles des conduites alimentaires, plusieurs stratégies peuvent être mises en place.
La première est évidente : il sâagit de limiter lâexposition aux réseaux sociaux, afin de se protéger des pressions liées à lâapparence.
Il est aussi possible dâutiliser à meilleur escient la façon dont sont conçus les algorithmes, afin de rendre lâexpérience plus positive. Si lâon recherche principalement des contenus qui ont un impact positif, ou qui sont en lien avec dâautres centres intérêts et valeurs (lâécologie, la culture, etc.), lâalgorithme proposera alors autant de nouveaux contenus sur ces thématiques, permettant dâéviter le #summerbody.
Exercer sa pensée « critique » est également un bon moyen de limiter lâimpact délétère des réseaux sociaux. Il est important de se rappeler que les images qui y circulent sont largement irréalistes, filtrées, et choisies en visant la promotion du soi ou dâun produit. Photos et vidéos sont généralement le résultat dâun nombre considérable de prises de vues et de retouches. Vous vous sentez insatisfait ? Câest normal, câest lâeffet recherchéâ¦
En repérant quels contenus, profils, thématiques, etc. sont les plus liés aux pensées et émotions négatives, déclenchent des résolutions de se mettre au régime/sport, il est possible de modifier son utilisation des réseaux. Reste ensuite à éviter de consulter de tels contenus. Certains influenceurs qui se réclament dâun idéal de santé peuvent en réalité surtout mettre en avant lâidéal « mince et musclé », ce qui nâest pas nécessairement synonyme de bonne santé, dâautant moins si cela augmente le risque de troubles du comportement alimentaire.
Enfin, il faut savoir écouter son corps, notamment avec des pratiques telles que la méditation pleine conscience, qui permet de se centrer davantage sur ses perceptions corporelles</a>. De cette façon, il est possible dâaméliorer ses capacités dâintéroception et donc de mieux tenir compte de ses besoins physiologiques.
En définitive, il est important de tendre vers une « acceptation de soi tel que lâon est » : être à lâécoute de ses besoins physiologiques, agir en cohérence avec ses valeurs et faire des choix qui nous correspondent, sans céder à la pression extérieure. Ce nâest pas toujours simple, mais câest le prix à payer pour diminuer son stress et améliorer sa santé mentaleâ¦
Cet article est tiré de The Conversation.
source : www.influencia.net