The Good : Pouvez-vous nous rappeler lâhistorique de votre raison dâêtre formalisée par le Groupe en 2019 ?
Béatrice Mandine : Dans la sphère du branding, le purpose nâest pas un concept nouveau. Ce qui est nouveau, câest de mettre la raison dâêtre au cÅur de la stratégie de lâentreprise. Stéphane Richard, a annoncé dès lâAG de 2019 lâintention de formaliser la raison dâêtre du groupe en vue de lâinscrire aux statuts. Je dis « formaliser » parce quâune raison dâêtre ne sâinvente pas. Elle doit sâappuyer sur ce que nous sommes, sur lâADN de lâentreprise et vers où on veut aller, ce nâest pas artificiel.
Cela a commencé par une phase de teasing quâon a lancé sur Twitter pour demander aux salariés et à notre écosystème comment ils voyaient la raison dâêtre du groupe. Ãa a eu tout de suite un assez vif succès, il y a eu 15 000 interactions et 3000 contributions. Nous sommes ensuite entrés dans une phase de consultation plus exhaustive des parties prenantes de lâentreprise. On lâa fait « à la Orange », câest-à -dire en co-construction. Nous avons monté des ateliers avec le Comex, également fait une quarantaine dâentretiens avec diverses parties prenantes : des ONG, des syndicats, dâanciens patrons du groupe, ou encore des partenaires industriels. On a aussi doublé dâune consultation tous salariés via le biais de lâapplication Toguna en 4 langues différentes. On a eu près de 130 000 votes et plus de 2300 contributions sur lâapplication.
TG : En quoi la raison dâêtre a-t-elle été placée au cÅur de la stratégie dâentreprise ?
BM : Nous avons veillé à mener ces travaux en parallèle des travaux de co-construction du plan stratégique Engage 2025. Jâai dû résister à un exercice de com. Le but nâétait pas de trouver une formule qui claque, une formulation littéraire ou communicante, mais une formulation qui reflète ce que nous voulions dire et qui soit accessible au plus grand nombre. Nous avons eu des débats par exemple autour du progrès positif, concept peut-être trop intello qui risquait de susciter des interprétations fausses.
Nous ne sommes pas partis de rien, nous avons une marque assez forte qui a une vraie personnalité. Notre philosophie Human Inside est très développée et les salariés sây attachent. Nous pensons que la technologie et lâinnovation sont un progrès pour lâhumanité, du moment quâon est avertis des excès et du danger. La technologie nâa de sens que si elle est au service de lâhomme. Il y avait vraiment un alignement entre la formulation de notre raison dâêtre et sa déclinaison à plus court terme via le plan stratégique Engage 2025.
Ensuite, nous avons inscrit notre raison dâêtre dans nos statuts à lâAG de 2020 avec 99% de votes favorables. Cela démontre bien quâil y a un appétit dans tous les cercles dans lesquels on en a parlé, les actionnaires ne sont pas imperméables à ces évolutions sociétales.
TG : Comment votre raison dâêtre est-elle pilotée dans le Groupe ? Comment la diffusez-vous auprès de vos parties prenantes, de vos salariés et auprès de vos clients ? Quelles actions mettez-vous en place pour la concrétiser ?
BM : Au titre de directrice de la Communication, Marque et Engagement dâOrange, jâai la mission de piloter et opérationnaliser la raison dâêtre. Ce nâest pas un programme de plus quâon essaie de déployer quelque part, ce doit être démontré dans les actions. Il fallait asseoir une gouvernance et Stéphane Richard a annoncé quâil voulait mettre en place le Comité Raison dâagir à lâAG 2020 avec la volonté dâavoir des personnalités externes, à qui on a donné un rôle dâalliés critiques. La raison dâêtre sert de boussole à notre action, on sâengage à le démontrer dans les faits.
Nous avons travaillé à une mise en cohérence de tous les concepts et fait de la pédagogie dans la « Maison Orange ». Sur le fronton de la Maison, il y a écrit la raison dâêtre. Ensuite, il y a 4 piliers qui sont lâégalité numérique, la protection de lâenvironnement, lâengagement pour une économie responsable et lâengagement pour une société de confiance. Pour chacun de ces piliers on a choisi des indicateurs chiffrés, qui servent dâoutils à la direction générale et au Comité Raison dâagir, afin de mesurer les progrès quâon fait dans ces domaines-là .
TG : Comment est composé le Comité Raison dâagir ?
BM : Il est composé de huit personnalités externes et deux internes, câest un comité paritaire et diversifié : Mme Jadwiga Czartoryska, ancienne Directrice de la Fondation Orange Pologne, M. Axel Dauchez, Président de Make.org, M. Alan Fustec, Président du cabinet Goodwill Management et Président de lâAgence Lucie, M. Nicolas Glady, Directeur général de Télécom Paris, Mme Ebba Kalondo, Porte-parole au bureau du président de la Commission de lâUnion africaine, M. Philippe Lemoine, Président dâhonneur de la Fondation Internet Nouvelle Génération, Mme Inès Léonarduzzi, Présidente de Digital for the Planet, Mme Hélène Valade, Directrice environnement du Groupe LVMH et Présidente de lâObservatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE), Mme Ãlizabeth Tchoungui, Directrice exécutive de la RSE, de la diversité et de la solidarité dâOrange, et moi-même.
Nous avons réuni pour la première fois ce Comité raison dâagir le 19 novembre dernier, et cela a été très riche. En toute humilité, on ne savait pas initialement où on allait. Nous avons pris une matinée de réflexion pour déterminer ensemble comment on allait sây prendre. Nous avions la volonté de partager avec eux nos intentions et nos indicateurs. On aurait pu décider que câétait le CGRSE – comité de gouvernance RSE émanant du Conseil dâadministration – qui allait prendre ce rôle-là . Le Comité Raison dâagir a été créé volontairement à part pour garantir son indépendance.
TG : Avez-vous des exemples dâindicateurs que vous avez mis en place ? Ãtes-vous accompagnés dans la mise en place de ces indicateurs ?
BM : Les indicateurs, câétait un peu mon dada en tant que Directrice de la Communication. Nous avons un devoir de preuve de tout ce quâon dit. Notre raison dâêtre a besoin dâêtre matérialisée, dâêtre factualisée. Nous avons choisi pour cela 14 indicateurs solides pour la plupart déjà suivis par la direction dâOrange.
Nous pouvons par exemple citer le taux de féminisation dans les réseaux de management, lâaccès à la formation pour tous, le taux de recommandation global des clients, le taux de couverture de la population à la 4G et le nombre de foyers raccordables à la fibre, le nombre de bénéficiaires accompagnés dans l’acquisition de compétences numériques, le recours aux énergies renouvelables, les actions menées pour être Net 0 carbone en 2040 ou encore le nombre de comptes Orange Money actifs en Afrique.
Nous avons aussi fait la démarche volontaire de les faire auditer par KPMG pour avoir un regard extérieur afin de savoir si câétait représentatif du scope de la raison dâêtre. Ils ont salué le fait que câétait à la fois assez synthétique et bien représentatif de lâacteur de confiance que nous voulons incarner.
TG : Stéphane Richard a porté le sujet de la raison dâêtre depuis le début. Comment ce projet va-t-il survivre à son départ ?
BM : La pérennité de la raison dâêtre ne se discute pas, câest inscrit aux statuts, qui est une forme de garantie. Ce nâest pas attaché uniquement à la personne de Stéphane Richard, même sâil en aura été lâinitiateur et lâartisan depuis plusieurs années.
La raison dâêtre câest au-dessus de tout.. En effet, je ne pense pas me tromper en disant quâà lâéchelle de nos vies, on ne verra pas de changement de raison dâêtre chez Orange car elle formalise un engagement sur le long terme alors que tout ce quâon fait dans lâentreprise en général a un espace-temps plus court.
TG : Quelle est votre vision, en tant que directrice de la communication, de la part de plus en plus importante prise par les sujets de RSE, dâengagement et de raison dâêtre dans la communication ?
BM : Cela fait longtemps que je suis convaincue quâune marque doit écouter la société dans laquelle elle évolue donc cette tendance à lâengagement sociétal des marques est structurelle. Dâune certaine manière, si on résumait le marketing uniquement à vendre des produits, câest une manière bien étriquée de voir lâinfluence des marques. Je prône depuis des années une stratégie de marque engagée car par notre activité et notre histoire câest aussi ce que nous sommes.
Chez Orange, maintenant que tout le groupe se saisit de ce sujet de la raison dâêtre, elle appartient à tout le monde. Que vous soyez Stéphane Richard, vendeur en boutique, ou installateur dans une ville africaine, ça ne change rien, vous partagez une vision, raison dâêtre. On risque moins dâêtre perçu comme la com qui a de belles images et des beaux films mais qui finalement nâest pas complètement embarquée dans lâentreprise. Jâai toujours veillé à faire évoluer les codes de la marque Orange en parallèle du plan stratégique. Il est important dâêtre main dans la main, la communication est lâétendard de lâentreprise.
si on résumait le marketing uniquement à vendre des produits, câest une manière bien étriquée de voir lâinfluence des marques.
TG : Quelle est votre feuille de route pour opérationnaliser la raison dâêtre ?
BM : Il y a 3 sessions du Comité Raison dâagir par an, elles sont déjà planifiées. En parallèle, on continue la phase de pédagogie dans lâentreprise sous deux formes : un webinaire à la disposition des salariés et des séances dâappropriation de la raison dâêtre métier par métier. Nous sommes en train de faire un pilote, pour définir quel type dâatelier faire pour familiariser ou rapprocher ce concept de raison dâêtre du quotidien des salariés.
Câest un gros chantier qui va nous prendre au moins lâannée 2022.
TG : Si vous aviez une preuve emblématique aujourdâhui qui incarne la raison dâêtre chez Orange ?
BM : La première chose que lâon a faite câest de mettre deux engagements sociétaux (égalité numérique et protection de lâenvironnement) au sommet du plan stratégique de lâentreprise et ce nâest pas anodin. Si on regarde les entreprises du CAC 40, ce nâest pas si courant. Elles en parlent mais ce nâest pas inscrit au plan stratégique. Reste à le démontrer par une action emblématique, câest ce sur quoi nous travaillons aussi.  Cet article a d’abord été publié sur The Good.
source : www.influencia.net