Celui qui ausculte, ouvrage après ouvrage la notion de résilience, vient également de lancer sa Masterclass. Une série de douze leçons intitulée « comment se reconstruire après un événement traumatique ». Celui, qui né en 1937, échappe à la mort à lââge de sept ans, et voit par la même ses parents disparaître dans les camps, est devenu neuropsychiatre et psychanalyste. Sa vie entière, comme il lâexplique lui-même, il la consacre à lâétude du « traumatisme » et à la résilience, le moyen par lequel il est possible de surmonter un traumatisme et de vivre au plus près de la paix intérieure. Interview de de lâauteur aux soixante ouvrages et aux 2,5 millions de livres vendus de par le monde.
INfluencia : le terme de résilience est devenu galvaudé, chacun lâutilise sans pour autant connaître son origine ou son sens. Aujourdâhui, il est plus que jamais dâactualité. Expliquez-nous.
Boris Cirulnyk : la résilience est dâabord un phénomène bien connu en physique, il concerne la résistance dâun matériau au chocs. Par extension, elle est une force morale, celle qui permet de résister et dâévoluer au contact dâun traumatisme. La capacité de quelqu’un qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre. Câest la capacité dâadaptation dâune personne, à vivre suite à un traumatisme. Un phénomène qui sâapplique aussi au monde végétal, animal, et au notre.
INfluencia : comment, définissez-vous le traumatisme ?
B.C. : un traumatisme recouvre des multitudes de formes. Un tremblement de terre, la précarité sociale, un tsunami, un abandon, un décès⦠Le plus spectaculaire des traumatismes, le plus évident peut-être bien moins grave quâun traumatisme plus pernicieux, quotidien. Ainsi jâestime quâun individu sur deux vit avec un traumatisme et la question est de savoir sâil va être en mesure dâévoluer, de vivre avec une certaine paix intérieure.
INfluencia : toute votre Åuvre tourne autour de cette notion. Votre dernier ouvrage revient sur la question de la soumission à un dictateur et de la liberté de ne pas sây soumettreâ¦
B.C. : quand un peuple est en difficulté, il cherche un sauveur. Et ce sauveur peut lui raconter n’importe quoi, le peuple va suivre et perdre son aptitude à juger, notre époque valorise les discours délirants. On part d’un postulat stupide qui ne repose sur rien et on construit un raisonnement cohérent, coupé de la réalité. Mais n’est pas une fatalité ? L’école, les artistes, le cinéma, les romanciers, les fabricants d’essais, tous ceux qui posent des questions et invitent à visiter un autre monde mental que celui du chef, du tyran » peuvent aider.
IN. : vous-même dites avoir exploré dès que vous en avez eu la possibilité votre traumatismeâ¦
B.C. : à 7 ans, jâai été condamné à mort pour un crime que jâignorais. Ce nâétait pas une fantaisie dâenfant qui joue à imaginer le monde, câétait une bien réelle condamnation. Pourquoi certains deviennent-ils des « mangeurs de vent », qui se conforment au discours ambiant, aux pensées réflexes, parfois jusquâà lâaveuglement, au meurtre, au génocide ? Pourquoi dâautres parviennent-ils à sâen affranchir et à penser par eux-mêmes ? Certains ont tellement besoin dâappartenir à un groupe, comme ils ont appartenu à leur mère, quâils recherchent, voire chérissent, le confort de lâembrigadement. Ils acceptent mensonges et manipulations, plongeant dans le malheur des sociétés entières. La servitude volontaire engourdit la pensée. « Quand on hurle avec les loups, on finit par se sentir loup. » Penser par soi-même, câest souvent sâisoler. Seuls ceux qui ont acquis assez de confiance en soi osent tenter lâaventure de lâautonomieâ¦
IN. : pendant la covid vous aviez été interrogé sur la capacité de vivre confiné⦠et expliquez pourquoi certains « sâen sortent » et « dâautres moins ».
B.C. : ceux qui ont grandi dans une famille stable et sécurisante, qui ont un bon réseau amical, ceux qui ont appris à communiquer, lire, écrire, se remettre à la guitare, inventer des rituels, se débrouiller grâce à ces facteurs de protection acquis au cours de leur développement antérieur. à lâopposé, ceux qui ont acquis des facteurs de vulnérabilité, isolement sensoriel, carences affectives, maladies, précarité sociale⦠peuvent avoir plus de mal et risquent même de sortir du confinement avec un trauma. Ils ont davantage besoin dâaide. Se protéger repose sur trois axes, lâaction, lâaffection et la réflexion. Tous trois des tranquillisants.
IN. : diriez-vous que nous traversons une crise de même ampleur que celle que vous avez connue enfant ?
B.C. : je ne pensais pas revoir la guerre en Europe.
IN. : quand Laure Adler vous interrogeait sur France Inter dans Lâheure bleue le 30 mars dernier, sur notre impuissance face à la guerre en Ukraine, vous répondiez, « Je ne voulais pas faire la comparaison et pourtant, je vais être obligé de le faire ».
B.C. : Poutine est en train de mettre en place le même processus que celui du nazisme des années 1930 : galvaniser les enfants en leur apprenant un seul récit. Les Jeunesses hitlériennes s’emparaient des enfants et leur désignaient l’ennemi. J’ai une amie un peu plus âgée que moi, qui a passé son enfance dans les Jeunesses hitlériennes. L’embrigadement qu’elle a vécu est le même que celui des Russes. On commence par désigner le voisin comme bouc émissaire. Là , c’est l’Ukrainien. Avant, câétait le Géorgien, le Tchétchène… En Ukraine, le dictateur utilise une méthode pour prendre le pouvoir : terroriser. Les avions ou les bombes sont volontairement sonores pour provoquer un traumatisme cérébral. Quand le bruit est très fort, le cerveau s’éteint. C’est un traumatisme presque physique, volontaire, qui fait partie des techniques de guerre. Face à ce système dâexpansion, les Occidentaux font exactement comme les politiciens face à Hitler avant-guerre. Ils étaient revenus en disant : «Ãa va aller, on l’a séduit. Il ne fera pas la guerre ». On connait la suite. Si on continue à se taire face à Poutine, on va lui laisser le champ libre.
source : www.influencia.net