nous sommes persuadés quâensemble il est possible de rendre le monde du travail plus épanouissant en replaçant la personne au centre de tout.
INfluencia : petit retour tout d’abord sur la campagne « Toutplaquerpour… Comment naît cette inversion de propos « tout plaquer pour devenir « ébéniste » en « tout plaquer pour devenir salarié? »
Loïc Soubeyrand : le contexte actuel a inspiré cette inversion de propos qui sâinscrit par ailleurs, et ce depuis nos débuts, dans notre vision engagée qui doit contribuer à lâépanouissement des salariés.
Ces deux années de pandémie ont bouleversé le monde du travail et en ont redéfini les contours. En effet, elles nous ont poussé vers une quête de sens et ont naturellement entraîné des plaquages à la chaîne, qui ont fait les gros titres. On a pu lire et on a pu voir des histoires de gens qui ont tout plaqué pour devenir prof de yoga, naturopathe, pâtissier, ébéniste et même éleveur de chèvres dans le Larzac comme le veut lâépoque. Ce que ces gens sont allés chercher en plaquant tout pour aller vers lâindépendance, on pense que nombre dâentre eux auraient pu aussi le trouver en devenant salarié ailleurs. Câest ce qui nous anime chez Swile depuis nos premiers jours : nous sommes persuadés quâensemble il est possible de rendre le monde du travail plus épanouissant en replaçant la personne au centre de tout. Finalement, avec cette campagne, on redonne ses lettres de noblesse au salariat tout en mettant en avant la Swile Card, la carte qui rassemble lâensemble des avantages salariaux.
Nous souhaitons au contraire éviter cette bipolarisation du monde du travail et offrir une nouvelle vision plus saine et pérenne.
IN. : aviez-vous conscience de peut-être lancer un débat ou plutôt de rétablir une certaine vérité? Et de permettre une conversation?
L.S. : on souhaitait certainement lancer un débat autour du monde du travail, et évidemment générer de la conversation parce que nous souhaitons faire évoluer ce monde de manière collective.
D’ailleurs, Malt a repris notre campagne en opposant salariés et freelances… Ce qui n’était pas du tout le cÅur du débat selon nous. Nous souhaitons au contraire éviter cette bipolarisation du monde du travail et offrir une nouvelle vision plus saine et pérenne.
Car avec cette campagne, on touche du doigt un phénomène de société qui nous concerne tous et à travers le monde -même la dernière chanson de Beyoncé parle de âquit my jobâ que lâon a dâailleurs repris dans un post)-. On veut créer le débat sur ce que le salariat peut apporter aux gens, et permettre à tout le monde de parler un peu plus de ces sujets qui nous concernent tous.
Avec la grande démission, on remarque que les salariés ne fuient pas le principe même du salariat, ils fuient surtout les modèles archaïques dâorganisations. Donc le salariat nâest pas mort, il est simplement en train de se réinventer de fond en comble. Chez Swile justement, on travaille chaque jour pour aider nos clients à améliorer cette expérience employé, à la réinventer. On le fait parce quâon croit profondément quâil existe une réalité où le salarié est mis au cÅur du projet de lâentreprise.
La réalité semble peut-être différente aujourdâhui, dâautant plus, dans un contexte inflationniste ou médiatique qui favorise les histoires de reconversions sensationnelles plutôt que les mouvements latéraux.
IN. : en effet, les phrases type « mon fils veut être pâtissier, c’est génial », « je quitté ma boîte, je pars à Mexico », « je n’en peux plus de la routine »… Sont devenues des poncifs … Ou en tout cas qui ne concernent que des « heureux de ce monde »?
L.S. : la vague du âtout plaquerâ a dâabord commencé aux Ãtats-Unis parmi les métiers (ou industries) les plus difficiles et les moins bien payés (caissiers dans des grandes surfaces, fast foods, etc). Câétait par ailleurs la promesse de ce mouvement : des salaires minimums qui augmentent et des entreprises qui protègent davantage leurs employés comme par exemple de la création historique d’un syndicat chez Starbucks. La réalité semble peut-être différente aujourdâhui, dâautant plus, dans un contexte inflationniste ou médiatique qui favorise les histoires de reconversions sensationnelles plutôt que les mouvements latéraux.
En revanche, je crois que cette vague a malgré tout eu pour bénéfice de pousser les entreprises à repenser lâexpérience employé, et pas seulement les plus heureux de ce monde. Et ce nâest encore que le début.
IN. : Pendant longtemps, nous avons vécu des doubles vies professionnelles, (nos boulots-passions la nuit), notre boulot-alimentaire de jour (ou vice versa)… Sommes-nous, selon vous, en train de transformer nos façons de vivre le travail, où est-ce le fait de quelques chanceux, audacieux?
L.S. : une telle dichotomie nâexiste pas réellement. Nos définitions communes de âboulot-passionâ et de âboulot-alimentaireâ sont relativement simplistes puisquâelles font lâimpasse sur des facettes clés que recouvrent la notion de salariat. à la manière de la pyramide de Maslow, il y a des moteurs dâengagement chez les salariés qui sont nettement plus nombreux, et qui varient selon les salariés, selon lââge, selon lâexpérience, etc. Un boulot alimentaire va permettre à un salarié dâassurer sa sécurité financière et physique. Un boulot passion va lui permettre dâassurer son développement personnel et son besoin de sens par rapport à son travail. Mais il y a aussi plein dâemployés pour qui le sentiment dâappartenance est ce qui compte par-dessus tout. Tandis que pour dâautres, cela va être la reconnaissance et la considération ou bien la mission de lâentreprise, sa vision, ses valeurs et son engagement RSE. Ce qui est clair, câest que nous sommes dans une transformation de notre « vivre le travail », que lâon y accorde désormais plus de poids, puisquâon lâintègre enfin vraiment, plutôt que de chercher à créer une frontière imperméable entre vie pro et vie perso. La digitalisation de beaucoup de nos métiers y a sans doute contribué en faisant évoluer notre rapport au temps et au lieu. Il y a aussi une évolution de mentalité et une évolution sémantique vis-à -vis des employés : ils sont de moins en moins considérés comme des âressources humainesâ et de plus en plus comme des âhumains plein de ressourcesâ. Et la relation entreprises-employés tend vers plus de donnant-donnant. Toutes ces choses font quâon pense être à lâaube dâun renouveau pour le salariat. Et que lâhistoire de ce nouveau salariat est en train de sâécrire dans les prochaines années. Notre ambition, câest de réussir à jouer un rôle clé dans cette nouvelle ère.
IN. : comment enfant, imaginiez-vous votre vie, aviez-vous une théorie sur ce que serait votre vie professionnelle ?
L.S. : une chose est sûre je nâai jamais pensé « tiens je vais devenir riche, et pour ce faire je vais faire comme ça ». Enfant, jâétais créatif, de ceux dont on dit, « il est encore dans la lune »⦠et jâavais parallèlement besoin de tout comprendre. Ãtudiant, je travaillais en parallèle de mes études, lâété, jâavais en tête des projets que je partageais avec mes amis, et je savais déjà ce que je ne voulais pas subir, en tant quâemployé⦠Câest quelque chose qui mâa très vite frappé. Je ne voulais pas de cet archaïsme, de cette manière de traiter les personnes, grossière, sans humanité que j’ai connu pendant mes jobs d’été. Donc, je pense que je nâai jamais été dans le calcul, jâai toujours eu cette créativité et une intuition due à mon besoin dâobserver le fonctionnement de lâhumain, certainement cette capacité à trouver le produit qui répond aux attentes dâun marché. Et puis étrangement, jâétais aussi un compétiteur âor on nâassocie pas enfant dans la lune, à ce terme-. Jâavais en fait envie dâavoir un impact sur le monde.
IN. : pensez-vous que le digital et une « plus rapide » transformation des idées en concepts a servi votre personnalité, et donc votre parcours ?
L.S. : câest évident, quâentre lâancien monde où les résultats se font attendre parfois des dizaines dâannées, et le nouveau, où la capacité de développer est extrêmement rapide, et où lâaccès aux financements est plus aisé, il y a un gap énorme. Dâailleurs lorsquâen 2010 je créais Teads on faisait partie de ces exceptionsâ¦
IN. : vous évoquez beaucoup lâempathie aussi pour expliquer votre parcours, et notamment lâesprit Swile. Lâéconomie et lâhumain font-ils à ce point bon ménage, quâils ne vont pas lâun sans lâautre ?
L.S. : lâempathie a une répercussion immédiate sur le fonctionnement dâune entreprise. Je ne suis pas un homme de conflits, je pars du principe simple: quand vous rentrez dans un panier de crabes vous devenez forcément crabe pour vous défendre. Si jâarrive dans un bain de poissons, je suis un poisson. La majorité des gens sont des caméléons. Donc évidemment lâenvironnement que vous créez a un énorme impact sur le travail. La première des choses câest la sécurité psychologique. Si cette grande démission a eu lieu ce nâest pas, tant à cause des salaires (même si évidemment cela joue un rôle), mais à cause dâun sentiment dâinsécurité, dâirrespect humain dans certaines entreprises comme Amazon ou des sociétés de restauration rapide, que des milliers dâindividus ont quitté, malgré l’absence d’allocation chômage, lâabsence de couverture sociale, au risque de leur vie⦠Ils ne sont pas partis la fleur au fusil, avec un doux rêve dâentreprenariat, ou par flemme de travailler⦠Ils étaient en souffrance. Mais le storytelling médiatique, préfère nous raconter de belles histoires de rêves réalisés, et non celles de la plupart des individus qui étaient à bout, et ont quitté leurs boîtes parce quâils étaient en danger psychologique… Je vous garantis quâune simple hausse de salaires nâaurait pas suffi ! Dâoù aussi effectivement cette campagne qui nous rappelle quâil y a des entreprises qui traitent bien leurs employés.
IN. : souvent « les capitaines dâindustrie » étaient craints⦠Câest dâailleurs ce qui en faisait de « pères respectés »â¦
L.S. : en fait, le capitaine à lâancienne est tyrannique, il revêt les couleurs du patriarcat⦠Mais avoir un capitaine juste, respectueux, qui estime quâil gère non pas des ressources humaines, mais des humains qui ont des ressources, change tout à la valeur travail! Pourquoi il y a à peine dix ans estimions-nous que la vie commençait après le travail, le soir ? Le travail fait partie de la vie. On parle de révolution culturelle dans le monde de lâentreprise.
IN. : vous avez 36 ans, après Teads, Swile, avez-vous de nouvelles aventures en tête ?
L.S. : pour tout vous dire, je suis assez mono-tache, même si certains mâattribuent des dons dâubiquité, je suis concentré, à la tête dâune société qui compte 700 salariés⦠Jâai juste le temps lire des ouvrages dâéconomie et de regarder le sport⦠(rires)
source : www.influencia.net