INfluencia : votre fondation vient de lancer une série de podcasts mensuels sur la santé mentale. Pourquoi avoir choisi ce média pour parler de sujets aussi sensibles et compliqués ?
Anne de Danne : notre cause est très compliquée techniquement, humainement et politiquement. Les maladies mentales sont des maladies comme les autres mais elles sont traitées comme des maladies à part. Nous sommes une fondation de recherche qui a besoin d’argent et nous devons pour cela trouver de nouveaux donateurs qui ne se sentent pas forcément concernés par les causes que nous défendons. Nous cherchions un moyen de déstigmatiser les maladies mentales et le podcast nous a semblé être le bon outil pour le faire.
Les maladies mentales sont la première cause de suicide en France avec près de 6000 décès par an, soit trois fois plus que le nombre de morts lors dâaccidents de la route.
IN : les maladies mentales sont-elles aussi répandues dans la population ?
A.d.D. : hélas oui. Elles sont la première cause de suicide en France avec près de 6000 décès par an, soit trois fois plus que le nombre de morts lors dâaccidents de la route. Elles sont aussi la première maladie chronique du pays, loin, très loin devant le cancer ou le diabète. Douze millions de Français souffrent de problèmes psychologiques et une personne sur trois sera touchée par ces maladies durant son existence. Près de 9 millions de nos concitoyens sont dépressifs. On sait également que le taux de mortalité parmi ces malades est deux à cinq fois supérieur à celui de la moyenne nationale.
Près de 9 millions de nos concitoyens sont dépressifs.
IN : Quel est le coût de ces maladies pour le pays ?
A.d.D. : il est énorme. Les coûts directs et indirects des troubles psychiatriques atteignent 160 milliards dâeuros par an, selon les derniers chiffres officiels qui datent de 2018. Ils ne dépassaient pas 109 milliards en 2008. Ils ont donc augmenté de 50% en une décennie. Les coûts directs pour lâassurance maladie ne dépassent pas 22 milliards dâeuros mais lâimmense majorité des frais pour la société est liée notamment à lâabsentéisme et à la baisse de productivité de ces malades. Et tous ces chiffres que je viens de vous donner ont été publiés avant lâarrivée de la Covid. Or on estime que la crise sanitaire va provoquer une hausse de 30% à 40% des troubles anxieux et dépressif, une augmentation de 10% des suicides et une explosion de 50% des addictions en tout genre. La moitié des gens qui ont eu le Covid souffrent de troubles neuropsychiatriques dans les six mois qui suivent leur infection mais, comme dâhabitude en France, on va attendre cinq ans avant de le soigner. On sait pourtant que de telles maladies doivent être traitées moins de six mois après lâapparition des premiers symptômes.
La crise sanitaire va provoquer une hausse de 30% à 40% des troubles anxieux et dépressifs, une augmentation de 10% des suicides et une explosion de 50% des addictions en tout genre…
INfluencia: la psychiatrie est le parent pauvre de la santé. La profession, submergée n’en a cure, expliquez-nous…
A.d.D. : Emmanuel Macron l’a récemment dit, répété, oui, la psychiatrie est le parent pauvre de la santé, et ce depuis toujours. Câest bien de lâavouer mais on fait quoi à partir de là ? La psychiatrie est la 41ème des 42 spécialités sélectionnées par les internes de médecine. Personne ne veut faire ce métier. Je peux les comprendre car qui souhaite travailler dans des hôpitaux sinistres ? A peine 2% du budget de la recherche publique est consacrée aux maladies mentales. Cela représente une dépense de 30 centimes par Français. Expliquez-moi comment on peut dépenser si peu pour la première maladie chronique du pays qui engendre 160 milliards dâeuros de coûts. Câest pathétiqueâ¦
A peine 2% du budget de la recherche publique est consacrée aux maladies mentales.
IN : nos voisins ne sont-ils pas dans la même situation ?
A.d.D. : aucunement. La France est, hélas, un cas à part. Il a fallu attendre 1955 pour que lâappellation dâasile dâaliénés soit remplacée par établissement de soins spécialisés. La première loi concernant la psychiatrie remonte à 1986. Elle remplaçait une circulaire datant de 1960. Les hôpitaux psychiatriques nâont jamais été construits au sein dâhôpitaux généralistes. On les a érigé en pleine campagne avec des jardins pour quâils soient autonomes. On a toujours séparé la psychiatrie des maladies somatiques mais il nây a pas de santé sans santé mentale.
Il a fallu attendre 1955 pour que lâappellation dâasile dâaliénés soit remplacée par établissement de soins spécialisés…
IN : comment comptez-vous changé cette situation ?
A.d.D. : notre fondation a pour vocation dâinnover en matière de diagnostic, de soins et de traitements afin de redonner espoir aux malades et à leurs familles. Elle a également pour ambition de mieux caractériser les différentes formes de maladies pour proposer une psychiatrie, préventive, prédictive, personnalisée et participative.
IN : qui sont vos soutiens ?
A.d.D. : les dons que nous recevons sont 30 à 40 fois supérieurs à ceux des autres fondations en moyenne. Les personnes qui nous supportent sont assez âgées et elles sont toutes concernées plus ou moins directement par des maladies mentales. Souvent, un de leurs proches souffre de lâune dâentre elles. Notre objectif est dâélargir notre base de donateurs et nous devons pour cela faire comprendre au grand public que nous sommes tous concernés par les troubles psychiatriques.
IN : dâoù lâidée des podcastsâ¦
A.d.D. : tout à fait. Nous allons en diffuser un chaque mois. Durant une vingtaine de minutes, un de nos experts va expliquer de la manière la plus simple possible ce que sont, par exemple, lâanxiété, le burnout ou la schizophrénie. Nous souhaitons, comme je lâai dit, vulgariser et déstigmatiser.
IN : Allez-vous développer dâautres formes de communication pour toucher un plus large public ?
A.d.D. : câest prévu. Nous voulons notamment être plus présents sur les réseaux et notamment sur Instagram. Il faut être là où les gens se trouvent pour pouvoir leur parlerâ¦
source : www.influencia.net