Vous lâaurez sans doute constaté en trainassant dans les rayons de vos supers et hypermarchés, chaque fois plus dâhommes, jeunes, et moins jeunes scrutent les étiquettes, balaient dâun regard perçant, les rayons, et remplissent leurs caddies avec méthode, et rigueur.
71% des hommes 15-64 ans qui déclarent sâoccuper eux-mêmes du ménage, soit 20 points de plus quâen 2010.
Non, ces hommes ne suivent pas attentivement une liste de courses qui aurait été rédigée par une épouse, ou une compagne, mais bien leur propre conviction dâacheter ce quâils estiment être bon pour eux. Or, au moins 79% des investissements publicitaires ont une cible féminine⦠Les hommes sont bien sous-exposés à ces messages publicitaires, soit 36% de moins que les femmes.
Les hommes sont bien sous-exposés à ces messages publicitaires, soit 36% de moins que les femmes.
Cette mutation au masculin concerne bien dâautres thématiques telles que les tâches ménagères du quotidien, avec en 2021, au sein du panel Kantar TGI, 71% des hommes 15-64 ans qui déclarent sâoccuper eux-mêmes du ménage, soit 20 points de plus quâen 2010.
Et quâaux fourneaux, le panel Kantar exprime la même tendance : 76% des hommes interrogés déclarent cuisiner soit 22 points de plus quâen 2010. La parole à Jean-Emmanuel Cortade de la Saussay (Storymind).
INfluencia : cette étude dit beaucoup de la société actuelle. Pour illustrer lâétude menée par Kantar, vous vous intéressez à ce que vous nommez, lâarchipel du masculin. Pourquoi ce terme ?
Jean-Emmanuel de la Saussay. : le premier point est que les hommes ne se définissent plus par tranches dââge, mais par catégories socioprofessionnelles et quâils sont écartelés entre des idées qui les portent et leur application. Par exemple, 88% des 18-65 ans se disent sensibles à la réduction des énergies polluantes, et 70% déclarent ne pas avoir changé grand chose dans leur consommation. 71% disent faire attention à ce quâils mangent, tout en étant 75% à craquer pour des plaisirs caloriques industriels. Enfin, 90% disent avoir des relations égalitaires avec leurs compagnes, tandis que 72% aiment se montrer protecteursâ¦
il nây a plus ni macho, ni métro, ni bobo, qui sont des connotations toutes négatives aujourdâhui. On est dans du « no credo »â¦
IN. : de la même manière, vous expliquez que plusieurs masculinités cohabitentâ¦
J-E. de la S. : oui, il nây a plus ni macho, ni métro, ni bobo, qui sont des connotations toutes négatives aujourdâhui. On est dans du « no credo »⦠Dans la quête de soi, dans la fidélité à ce que lâon est pour 70% des hommes interrogés. Les termes virils, sexys, fêtards, gagnant bien leur vie, ne sont plus des critères dans lesquels les hommes se reconnaissent.
IN. : lâétude est délivrée aujourdâhui, après deux ans de Covid. Y voyez-vous un lien ?
J-E.de la S. : la covid a certainement éclairé le phénomène, mais cela fait cinq ans que le masculin opère une mutation que tous les acteurs de la société doivent veiller à comprendre et à analyser. En particulier en ce qui nous concerne, à savoir la sphère du marketing.
IN. : pensez-vous que la publicité ne prend pas en compte ces nouveaux hommes ?
J-E.de la S. : les publicitaires le font, il suffit de voir ces spots que jâai choisi pour illustrer lâétude dâAltice, mais par obligation légale, ils travaillent énormément sur des sujets de niche, tels que lâécologie, le développement durable, la responsabilité, lâinclusivité, la diversité, etc. Chacun sâest engouffré sur ces sujets pour ne pas être taxé ensuite dâêtre le grand absent de ces renversements sociétaux. Les hommes eux, ont énormément changé sans grand bruit, et on ne le voit guère, notamment en ce qui concerne leur relation aux caddies, aux achats essentiels, à leur besoin de remettre le foyer, ou la maison au centre de leur vie, de leur rapport à la famille.
IN. : vous-vous servez de la pop culture pour cerner ces mutants. Quels changements observez-vous ?
J-E.de la S. : je mâattache aux phénomènes et en la matière, il suffit dâobserver une rentrée littéraire, dont les ouvrages se consacrent à raconter les pères, James Bond se recentre sur ses amours, la série En thérapie au succès phénoménal sâintéresse à lâintime⦠En devenant papa, Julien Doré devient cultissime notamment sur les réseaux sociaux.
IN. : quâont compris les hommes que nâauraient pas saisi les femmes ?
J-E.de la S. : il nây a pas à les opposer, chacun fait sa révolution. Les femmes sont dans une quête dâégalité, depuis 20 ans, elles suivent leur propre révolution, au travail, en termes dâégalité salariale, de parité au sein de lâentreprise, etc. Tandis que les hommes sont entrain de comprendre que leur rôle titre, celui auquel ils prétendaient par le passé, la puissance, la carrière, les promotions, lâargent, sont caduques. Cette croyance en une sphère du travail qui ferait dâeux des êtres « puissants » sâest vidée de son sens, elle a fondu, elle est désinvestie et remise en question à cause du capitalisme sauvage. Or lâhomme a besoin dâêtre rassuré.
En lâchant Superman, l’homme doit se doter dâun nouveau pouvoir, que jâappelle « le super moi ».
IN. : vous dites que lâinvestissement le plus rassurant pour un homme aujourdâhui, est dâêtre père⦠Et par conséquent tout ce qui va avec. Y compris ses achats, ses centres dâintérêt, et que les « régies nâauraient pas vu venir ce phénomène ?
J-E.de la S. : Altice a voulu mettre en exergue une mutation énorme que les acheteurs dâespace publicitaire ne semblent pas prendre en compte. Des questions philosophiques, primordiales. Quâest-ce qu’être un homme ?
Jules, Men in progress novembre 2020.
Quâest-ce que la relation parents-enfants ? Où est la sécurité ? Quâest-ce que le travail ? Des fondamentaux quâon a cru longtemps immuables. Altice est allé creuser de ce côté là de manière tangible. Lâhomme est entrain dâopérer une mue en se recentrant sur ce quâil peut maîtriser. Lâhomme nâa plus foi non plus dans le couple. Dès lors, de Superman, il doit se doter dâun nouveau pouvoir, que jâappelle « le super moi ».
Castorama, réveillez le castor qui est en vous juillet 2021
IN. : câest à dire ?
J-E.de la S. : le super moi câest dâêtre père, câest lâabsolue sécurité dâêtre « quelquâun » à vie. Existentiellement, égoïstement. Dâailleurs, 77% des pères disent « mes enfants mâaident à avoir confiance en moi ». 80% affirment que faire des choses avec les jeunes leur permet de rester jeunes »⦠Il y a également lâamitié comme espace de partage de passions, lâintergénérationnel.
Volkswagen, way to zero 2022
Les publicitaires ont bien compris quâil fallait réinvestir la sphère masculine, et beaucoup de secteurs comme la mode, l’automobile, ou les services, banques, assurances, l’ont compris, mais ceux qui achètent lâespace n’investissent pas les domaines hygiène beauté, alimentation, décoration, électroménager, ils ont négligé cette réalité et continuent de rester rivés à l’indicateur clé du marché publicitaire en termes de GRP : » la « ménagère de moins de 50 ansâ¦
CIC, 2022
IN. : concrètement, ce papa, cet ami, cet homme nouveau investit donc dâautres sphèresâ¦
J-E.de la S. : il sâoccupe des repas quotidiens, il fait les courses, il sâoccupe de sa santé, il sâaffirme sur la sphère du shopping, il est responsable de sa famille, de ses enfants. Ce spot Auchan le montre extrêmement bien, cet homme qui surfe sans complexe dans les rayons…
Auchan, les courses plaisir au masculin 2021
source : www.influencia.net