INfluencia : à lâoccasion du jubilé de platine de la reine dâAngleterre, tous les médias y vont de leurs éditions spéciales, hors-séries, documentaires, podcasts⦠Que dit, selon vous, cette « Elizabeth mania » ?
Adelaïde de Clermont-Tonnerre : cette passion pour Elizabeth dépasse très largement les frontières du Royaume-Uni et même du Commonwealth, qui ont une histoire très évidente et incarnée avec la reine. En France, elle suscite un engouement déjà ancien et câest dâailleurs le pays quâelle a le plus visité dans le monde, hors Commonwealth. Quand François Hollande lâavait reçue pour sa dernière visite dâEtat, beaucoup de Français lâacclamaient, la place du marché aux fleurs de Paris a été rebaptisée à son nom⦠Dans une période très anxiogène comme celle que nous traversons, nous avons besoin de plus en plus dâancrage et Elizabeth est un point de permanence depuis des générations. Câest vrai dans son royaume où moins de 10 % des gens sont plus âgés quâelle, mais aussi pour les Français qui sâidentifient à cette famille mondialement médiatisée et très cathartique. On les voit naître, grandir, sâaimer et se déchirer. Ils deviennent une famille référence et particulièrement la figure dâElizabeth, qui est un peu la grand-mère des Européens. On sâidentifie aussi à elle car la pandémie a profondément bouleversé notre rapport aux personnes âgées. Chacun dâentre nous a vu leur fragilité, a eu peur pour eux, sâest aussi rendu compte de la manière dont on traitait nos aînés⦠Au-delà de sa situation personnelle, Elizabeth cristallise beaucoup dâenjeux de la société dâaujourdâhui.
On sâidentifie aussi à Elizabeth, car la pandémie a profondément bouleversé notre rapport aux personnes âgées. Chacun dâentre nous a vu leur fragilité, a eu peur pour eux, sâest aussi rendu compte de la manière dont on traitait nos aînésâ¦
IN : en tant que romancière, que vous inspire-t-elle ?
A. de C-T. : jâai avant tout beaucoup dâadmiration pour elle en tant que femme. La reine a un courage moral et physique hors normes. Elle a voué sa vie à sa fonction, continue de travailler et dâoccuper le terrain à un âge où nâimporte quelle autre personne serait à la retraite depuis trente ans ! La romancière est touchée par cette femme qui incarne une génération qui disparait ou qui a disparu. Câest le dernier chef dâEtat à avoir connu la guerre et à avoir servi pendant la guerre. Elle incarne des valeurs dâengagement, de service, voire de sacrifice, aujourdâhui perdues par une société devenue plus individualiste et personnelle. Elizabeth est entourée dâun grand faste mais, à titre personnel, câest une femme qui ne gâche pas et dont les valeurs sont proches des préoccupations écologiques. On a aussi une immense tendresse envers cette femme que lâon voit aujourdâhui un peu chancelante, à qui plein de gens aimeraient donner le bras alors que lâon nâa pas le droit de toucher la reine. Lâimmense solitude liée à sa fonction et cette fragilité sont assez bouleversantes. Depuis la mort de son mari le Prince Philip, elle se confie beaucoup plus. Elle a abordé dans son discours de Noël des choses intimes quâelle nâavait jamais osé dire avant. Pour un grand documentaire de la BBC, elle a confié des archives absolument privées⦠Après des décennies de devoir, elle est dans une telle relation de confiance avec ses concitoyens que, dans sa 96e année, elle fend un peu lâarmure. Et ça aussi, en tant que romancière, câest très touchant.
Après des décennies de devoir, Elizabeth est dans une telle relation de confiance avec ses concitoyens que, dans sa 96e année, elle fend un peu lâarmure
IN : dans une société dâhyper-communication, la reine sâexprime peu. Ses discours sont pourtant toujours très remarquésâ¦
A. de C-T. : elle sâexprime toujours avec beaucoup de subtilité. Pendant la pandémie, dans son fameux discours qui a marqué tellement de gens et bien au-delà de son pays, elle disait « We will meet again ». Câétait une très jolie allusion à une chanson qui avait beaucoup compté pendant la guerre, avec laquelle les Britanniques se donnaient du courage dans la perspective de retrouver leurs familles. Dans la manière dont elle gère les crises familiales, notamment avec Harry et Meghan, chaque mot des communiqués de Buckingham est extraordinairement bien posé. Il y a une vraie fermeté sur la ligne â la couronne passe avant nos problèmes familiaux â mais toujours beaucoup dâaffection. Un autre point me semble intéressant : la reine, qui nâest pas dans un rapport dâélection, sâaccorde toujours le temps long. Son rôle étant assuré jusquâà la fin de sa vie, elle peut se permettre de voir lâintérêt général.
IN : comment voyez-vous arriver tous les médias sur le « terrain » de Point de Vue ?
A. de C-T. : on comprend que beaucoup de médias surfent occasionnellement sur cet engouement mais cela ne détrône pas lâexpertise de Point de Vue qui reste très référent et travaille en permanence sur ce sujet avec de très bons spécialistes. Dâune certaine manière, cela mâamuse car il y a eu pendant longtemps des commentaires un peu caustiques ou ironiques sur le magazine. Considérer que la monarchie est archaïque, câest une vision finalement très ethnocentrée et nombriliste. En France, nous avons changé de régime il y a longtemps – et câest tant mieux â mais ce nâest pas le cas de la moitié des pays européens. La monarchie, câest aussi un élément de modernité. A la génération prochaine, il y aura une jeune reine en Espagne, en Suède, en Belgiqueâ¦, quand en France nous nâarrivons toujours pas à élire une femme à la présidence de la République.
Considérer que la monarchie est archaïque, câest une vision finalement très ethnocentrée et nombriliste. Câest aussi un élément de modernité. A la génération prochaine, il y aura une jeune reine en Espagne, en Suède et en Belgique
IN : des couvertures sur la couronne britannique sont-ils toujours un gage de succès ?
A. de C-T. : la famille dâAngleterre reste un blockbuster par son rayonnement mondial, comme les Monaco ou même la cour espagnole⦠Point de Vue est un magazine dâactualité et dès quâil y a de lâactualité, ça cartonne. Dâune certaine manière, ce magazine qui a bientôt 77 ans a grandi avec la reine. Notre première couverture en couleur était consacrée à Elizabeth. Elle est très francophile et nous avons la chance quâelle nous lise. Le magazine reste totalement référent sur lâactualité de la couronne britannique et, pour le jubilé, beaucoup de nos journalistes seront présents dans les éditions spéciales des chaînes de télé. Nous avons aussi noué un partenariat avec RTL avec un podcast et une série dâété qui sâappuiera sur notre expertise.
IN : quelle est la place et lâambition de Point de Vue TV, lancée à lâété 2021 ?
A. de C-T. : nous lâavons lancée sur TVPlayer comme une sorte de mini plateforme qui permet à ses abonnés de projeter les contenus sur tous les écrans. Nous étions très contents dâarriver en mars 2022 sur la TV dâOrange car cela décuple notre audience. La plateforme est une extension assez merveilleuse pour de suivre en mouvement les personnages et les centres dâintérêt de Point de Vue (patrimoine, lifestyle, mode, gastronomieâ¦), faire vivre et explorer ce monde qui fait rêver nos lecteurs, avec des séries comme La Comtesse Rouge, des documentaires pour la plupart inédits en France que lâon traduit pour explorer ce monde des palais royaux, des familles royales. Des accords ont été passés avec des télévisions suédoise, belge⦠pour aller chercher du contenu premium que lâon traduit. Dans le magazine, nous réagissons à chaud sur lâactualité mais nous voulons aussi créer de lâinformation durable. La télévision permet dâavoir des propositions immersives pour sâenrichir et de se distraire dans un monde qui semble inaccessible.
La série La Contesse Rouge diffusée sur Point de vue TV
source : www.influencia.net