INfluencia : que pensez-vous de lâacquisition de Molotov par FuboTV ?
Marc Herbault : câest un signal très positif que FuboTV envoie au marché. Si FuboTV prend des positions en France, câest parce quâil croit quâil trouvera un retour à son investissement. Cela prouve que le dynamisme est bel et bien présent dans le secteur de la TV connectée (TVC). Ce rachat montre également quâune taille critique est nécessaire pour concurrencer les acteurs dans un monde globalisé. Le marché de la TVC est tout juste en train de se structurer en France. Nous ne sommes quâau début et le mieux est à venir. Même si chaque marché a ses propres spécificités, on peut se projeter en regardant ce qui se passe aux Ãtats-Unis, où 55 millions de foyers (soit 40 % des foyers américains) regardent la TV uniquement en mode connecté. Câest un phénomène inéluctable dont l’accélération est déjà visible en Europe, dans les pays anglo-saxons et nordiques.
IN : où en est Rakuten TV en France ?
M.H. : nous avons enregistré des pics de croissance en 2020 et 2021, et cela se confirme mois après mois. Nous avons triplé nos inventaires en un an. En France, 1,8 Millions de foyers actifs (soit 4,5 millions dâutilisateurs uniques par mois) consomment Rakuten TV. Un foyer ou un utilisateur est actif quand il se connecte au moins une fois par mois à notre application. Nos audiences sont à 71 % des hommes et des femmes âgés de 18 à 44 ans. Nous sommes une application de TV connectée hybride. Nous proposons à la fois la location ou achat de vidéos à lâunité (TVOD), lâabonnement (SVOD) et le service gratuit de vidéo à la demande. Ce dernier est financé par la publicité (AVOD â pour advertising video on demand). Tout est au sein de la même plateforme.
IN : votre ouverture à un modèle gratuit date de fin 2019. Où en sont vos recettes publicitaires ?
M.H. : depuis le deuxième trimestre de cette année, nous battons tous les mois nos records de chiffres dâaffaires. Cela démontre une vraie tendance de fond : le marché bouge, les annonceurs sont en demande et notre capacité à y répondre se développe également avec des inventaires en constante augmentation. Cette année est la plus significative, câest un vrai virage à la fois pour notre activité commerciale mais également pour le marché, qui se montre plus mature. Lâannée prochaine viendra confirmer cette tendance. Je pense pouvoir affirmer même en restant prudent que nous allons doubler notre chiffre dâaffaires publicitaire lâannée prochaine.
IN : combien dâannonceurs accueillez-vous en France ?
M.H. : depuis la rentrée de septembre, nous avons une trentaine dâannonceurs présents sur notre offre AVOD. Les secteurs qui investissent chez nous sont des secteurs classiques dont beaucoup présents en TV â banque/assurance, food, entertainment, mode, etc. La majorité (70 %) de nos inventaires est commercialisée en gré à gré, même si nous sommes également présents en programmatique, notamment via notre ad server et SSP SpotX [acquis par Magnite en février NDLR] ainsi quâà travers dâautres SSP du marché (Xandr, Telaria/Magnite, Freewheel et bientôt Smart). Dans notre secteur de la TV connectée, pratiquement rien ne se passe en open auction. Tout se fait soit en deal ID soit en programmatique garanti. Nous sommes à mi-chemin entre la TV (par le device) et le digital (par la granularité de la data et notre modèle dâachat au CPM).
IN : la plupart des Français continuent de consommer la TV via les box opérateurs. Nâest-ce pas un gros frein au développement des services de TVC comme le vôtre ?
M.H. : je vois cette exception française plutôt comme un ralentisseur et non comme un frein. Aujourdâhui, 80% des foyers français possèdent une TV connectée. Certes, selon lâObservatoire de lâaudiovisuel du CSA, 80% des foyers ayant une TVC passent par les box opérateurs, l’offre de ces derniers étant très alléchante. Mais je retiens également la proportion (36%) en très forte augmentation de ceux qui passent directement par leur Smart TV, en hausse de 7 %. Et câest compréhensible : lâenvironnement de la smart TV est ouvert. Comme sur son smartphone, on y intègre les applications que lâon souhaite avoir. Cela permet dâaccéder à des services qui ne sont pas nécessairement dans les box.
IN : câest notamment votre cas nâest-ce pas ?
M.H. : nous sommes en effet une application multidevice mobile, PC, tablette et sur TVC. Notre particularité est notre présente forte et native dans la plupart des appareils de TV connectée. En effet, 80% des constructeurs nous intègrent nativement. Vous avez même un bouton « Rakuten TV » dans la télécommande. Aujourdâhui, plus de 100 millions de devices embarquent nativement notre application et le bouton en télécommande en Europe. Nos audiences se connectent à notre application à 95 % sur une smart TV. Notre stratégie est depuis toujours de nouer des partenariats forts avec les constructeurs de TVC. La distribution de nos concurrents ne se concentre pas autant sur les smart TV.
IN : de quelle manière pensez-vous réussir à vous différencier dans ce marché extrêmement concurrentiel et déjà bien habité par les chaînes historiques et les autres SVOD ?
M.H. : il y a une tendance de fond qui plaide en notre faveur : le désintérêt de plus en plus marqué à lâégard de la TV linéaire, notamment des nouvelles générations et des jeunes parents. Aujourdâhui 21 % des streamers ne regardent plus du tout la TV linéaire (chiffre Rakuten). Cela participe à lâessor de la TVC. Nous sommes au début dâun mouvement et toute concurrence est bonne à prendre pour aider à accélérer lâusage. Plus lâoffre sera variée et qualitative, plus les gens voudront passer par cet écran. Les acteurs qui proposent lâAVOD seront aussi favorisés par les limites du modèle SVOD : la fatigue monétaire, les foyers nâétant pas en mesure de sâengager sur des  abonnements à lâinfini. Si vous disposez déjà de Netflix et de Canal+ cela deviendra compliqué dây ajouter Amazon Prime et Disneyâ¦
IN : est-ce aussi une affaire d’attractivité de votre offre AVOD ?
M.H. : il faut en effet considérer la force de notre contenu, fait de films locaux, hollywoodiens, des blockbusters, des documentaires et de chaînes thématiques. Sur notre offre AVOD, nous avons lancé au printemps près dâune centaine de chaînes linéaires gratuites en Europe. Cela inclut des chaînes thématiques produites localement mais également des marques médias comme Euronews, Reuters, Bloomberg, Vogue, Wired, etc. Lâautre point stratégique, c’est la distribution. Au-delà de notre forte présence dans les appareils de TV connectée, nous travaillons désormais notre présence sur les environnements de type Chromecast et Fire TV.
source : www.influencia.net