INfluencia : comment le journalisme de solutions défendu par Reporters dâEspoirs trace-t-il sa route au sein des rédactions ?
Gilles Vanderpooten : il nâa pas toujours été facile de promouvoir ce concept que Reporters dâEspoirs défend depuis 2004 mais qui suscitait parfois beaucoup de doutes ou de scepticisme. La crise économique de 2008, puis la crise sanitaire avec son côté très anxiogène, ont renforcé lâintérêt pour le journalisme de solutions. Il nâest pas question d’une approche idéologique mais d’une méthode que chaque média peut appliquer selon son prisme éditorial, dès lors quâil parle dâune initiative qui a de lâimpact. Cela attire de plus en plus lâattention des journalistes et des rédactions à des niveaux de plus en plus hauts, par exemple chez les rédacteurs en chef ou les directeurs de la rédaction. Certains sây sont mis en voyant apparaître spontanément dans les enquêtes de lectorat des verbatims qui signalaient que lâinformation était trop négative quâils attendaient plus de solutions, de contenus positifs qui permettent davantage de se projeter vers lâavenir. Des journalistes y voient la confirmation dâune conviction ou dâune vision et ont parfois besoin dâaide pour convaincre leurs supérieurs hiérarchiques. 2007 a marqué une étape importante avec Le Libé des solutions qui, dâannée en année, a réalisé de très bonnes ventes. Câétait bien la preuve quâil existe un lectorat pour ce type de journalisme constructif ! Cette collaboration a dâailleurs permis dâen initier beaucoup dâautres avec Ouest-France, Version Femina, Courrier international, Le Figaro, La Croix…, de faire émerger de nouvelles rubriques et de nouveaux hors-séries.
Le journalisme de solutions nâest pas une approche idéologique mais une méthode que chacun peut appliquer selon son prisme éditorial
IN : comment mesurer lâintérêt pour cette tendance ?
G.V. : depuis juillet 2021, nous développons un outil pour identifier et agréger ces contenus sur notre plateforme LaFranceDesSolutions.fr. Nous nous appuyons sur la technologie de machine learning de la start-up Flint, qui analyse les contenus et permet de réaliser des newsletters personnalisées. Un robot est en cours dâéducation pour détecter les contenus qui relèvent du journalisme de solution. Câest d’ailleurs loin dâêtre simple ! Au-delà de la grande variété de sujets qui peuvent être concernés, toute la difficulté consiste à ce que le robot puisse déceler la tonalité de lâarticle, repérer quâil sâagit dâune initiative concrète avec des données dâimpact⦠Selon le moment, le robot apprend, puis régresse. Nous faisons déjà remonter sur la plateforme des contenus de médias comme Libération, PositivR, Marcelle Media, un média marseillais qui ne fait que du journalisme de solutions, Geo, Le Point, France Culture⦠Ce nâest pas encore exhaustif mais notre ambition consiste à agréger de plus en plus de contenus et à pouvoir aussi mesurer les évolutions autour de cette méthode.
IN : quels bienfaits en retirent les médias qui prennent le parti du journalisme de solution ?
G.V. : câest souvent un élément très motivant en termes de ressources humaines et cela permet de mobiliser les équipes autour dâun projet. Cela donne également une tonalité constructive au média. Le ton nâest pas forcément plus léger mais le média montre qu’il sâintéresse à des initiatives concrètes face aux problèmes. Ce journalisme met en lumière et donne du sens à des initiatives locales dont les lecteurs peuvent bénéficier ou auxquelles ils peuvent contribuer. Quand nous montons une opération La France Des Solutions avec une quinzaine de titres de presse quotidienne régionale, certains veulent être accompagnés pour couvrir des initiatives qui se passent au-delà de leur région. Câest par exemple le cas du groupe Ebra, qui couvre toute la presse de lâEst de la France et aime aussi aller chercher des initiatives en Bretagne ou en Aquitaine. Dâautres restent davantage sur leur périmètre. Nice Matin a mixé une approche numérique avec une rubrique Solutions sur leur site qui avait permis dâapporter une valeur ajoutée par rapport au print, dâapporter des abonnements auprès dâun lectorat plus jeune et plus impliqué, avec une communauté invitée à voter sur les sujets qui seront traités par la rédaction et peut même participer à des reportages.
Le ton nâest pas forcément plus léger mais le média montre qu’il sâintéresse à des initiatives concrètes face aux problèmes
IN : cette approche est-elle à elle seule un gage de succès ?
G.V. : Beaucoup de médias s’y sont intéressés, mais tous nâont pas rencontré le succès, notamment car ils nâont pas assez travaillé sur leur communauté et sur la manière dâimpliquer la population locale. Câest sans doute plus compliqué à mettre en Åuvre pour un titre de presse nationale. TF1 fait remonter beaucoup dâinitiatives locales grâce à ses partenariats avec la PQR. Dans le journal de 13 heures, il y a régulièrement du journalisme de solutions autour dâinitiatives concrètes et impactantes, qui changent les choses. Un prix Reporters dâEspoirs avait été remis à Jean-Pierre Pernaut et à la rédaction du 13 heures pour lâopération SOS Villages, organisée sur plusieurs années avec une montée en puissance, un suivi des actions et de leur impact. Cette approche autour des solutions réunit des personnalités et des médias très différents. Les nouveaux médias â par exemple neo – sont venus grossir le lot du journalisme de solutions.
IN : où situez-vous la frontière entre un positivisme un peu gratuit et le journalisme de solutions ?
G.V. : jâai une échelle dâambition par rapport aux solutions : le feel good autour dâune initiative particulière qui fait plaisir serait sur la première marche et le journalisme de solutions plus haut. Entre les deux, on peut trouver les raisons de se réjouir dâun élan de solidarité, de sâémerveiller sur une innovation qui pourrait apporter une solution à terme, des initiatives sur lesquelles on a déjà du recul⦠Le journalisme de solutions couvre un spectre large, qui permet dâavoir une approche profonde, documentée, constructive et critique. Câest un champ en émergence qui permet de dénoncer des dysfonctionnements et de montrer les pistes pour aller de lâavant dans un journalisme exigeant.
Le journalisme de solutions couvre un spectre large, qui permet dâavoir une approche profonde, documentée, constructive et critique
IN : lâédition 2021 de La France Des Solutions sâest tenue le 15 décembre. Certains thèmes ont-ils émergé, notamment en vue de la forte actualité électorale des prochains mois ?
G.V. : La France Des Solutions associe un volet médiatique avec des contenus proposés par les médias partenaires et un événement physique qui a réuni 500 personnes à la Maison de la Radio. Les enseignements et les idées viennent souvent des réunions de debrief avec les médias partenaires. Câest davantage à ce moment que les demandes vont émerger. La période électorale est sans doute le moment dâinventer de nouvelles choses. Certains médias décident de se concentrer sur cette actualité. Ouest-France a pris le parti de ne pas commander de sondages et de se consacrer leur temps à voir les initiatives locales. Certains titres de PQR nâont pas envie de se laisser guider par lâagenda politique et aimeraient montrer de manière plus affirmées les demandes des citoyens. Tous ne le feront sans doute pas mais lâenvie de faire autrement est bien là .
source : www.influencia.net