On dit les consommateurs de plus en plus infidèles… quâen pensez-vous?Â
Stéphane Hugon : Jâaime bien votre question, et je voudrais lâinverser. Ou plutôt tenter dâexplorer ce quâelle présuppose, câest-à -dire la fidélité. On a longtemps considéré que le consommateur était un agent intelligent qui exerce son jugement comme une sorte dâéquilibre entre son désir personnel et un contexte de marché. On pourrait alors considérer quâune fois un choix établi – un choix qui conforte aussi toute la partie symbolique de la consommation bien sûr – alors la situation se stabilise. On ne change pas une équipe qui gagne. Ici, la fidélité est un acte rationnel. Le consommateur nâa aucun intérêt à se soumettre à une nouvelle expérience de lâincertitude. Et pourtant, câest lâinverse qui se passe dans une grande majorité des cas. Câest votre idée dâinfidélité qui est là . Notons quâelle est largement connotée dâune dimension de désir. Aujourdâhui, et plus encore depuis les derniers mois, lâexpérience consommatoire a été soumise à une sorte dâintrospection. Il y a des choses quâon ne veut plus faire, et surtout, il y a des expériences quâon veut retrouver pour les vivre pleinement. Dans cette introspection, et cette conception élargie de la consommation, on voit que lâidée du lien et de lâutilité sociale est devenue très forte. La consommation devient alors lâavènement de quelque chose de plus fort que la consommation.Â
Quâest-ce qui explique ce comportement « infidèle » ?Â
S.H : Dâabord, nâoublions pas que nous nâavons besoin de rien. Et quâune grande partie des actes consommatoires ont des ressorts totalement extérieurs à la consommation elle-même. Réassurance de soi, ritualisation dâun moment de vie ou de la journée, compensation relationnelle, rite dâappartenance et signe de reconnaissance dans un collectif, convivialité et geste dâinteraction⦠Une partie du désir réside dans les secondes qui précèdent la consommation elle-même – dans cette expérience de lâimminence, mélange de théâtralité et de suspension. Les chercheurs qui travaillent sur lâéconomie de lâattention nous montrent très justement que cette petite seconde est génératrice de satisfaction, on le voit tout particulièrement dans le domaine du digital. Ce qui donne lieu à ces formes dâaddiction au scrolling, au défilement et autres expériences de boulimie de flux. On le voit aussi dans la force de la mise en scène et la mise en espace de cette expérience – retail ou digital. Certains designers sont spécialisés dans lâunboxing par exemple, et on sait quâen Asie, la tradition du paquet, de lâouverture et de tous les gestes liminaires à lâacte consommatoire, est très codifiée. Là où notre Occident est davantage utilitariste – on aime détester ce qui ne sert à rien -, dâautres traditions nous rendent attentifs à ce qui précède et accélère la consommation elle-même. Tout cela accentue lâinfidélité comme recherche de surprise.
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source : www.influencia.net