Il y a quarante ans, François Mitterrand était élu, réveillant en quelque sorte une France qui vivait un peu sous cloche. Il y avait un désir collectif. Et ce désir, un homme incarnait la formule pour le réaliser. En 2021, ce nâest pas un homme mais un virus qui paradoxalement allait inciter au réenchantement, et notamment, dans le paysage, les marques à se réenchanter â quand beaucoup dâentre elles avaient pris quelques rides â la preuve du « désir » malmené ? CQFD !
Remettre du désir de marques en se réenchantant : voilà le véritable défi. Et ce ne sont pas les TikTok, Twich et autres streamings à la mode qui vont suffire ; à lâinstar du digital, ce ne sont que des outils au service dâune grande Åuvre. Lectrice, lecteur dâINfluencia qui découvrez cet article, posez-vous, interrogez-vous : quelle marque êtes-vous capable de citer qui réenchante votre quotidien, au sens non pas romantique du terme mais wébérien : « le réenchantement se produit quand les sphères sociales, économiques et politiques sont connectées » ? Il nây a pas grand monde, nâest-ce pas ?
Une carte
Comment sây prendre pour réinsuffler un désir de marque ? Dans lâart de la séduction, les marques qui veulent toucher au cÅur du consommateur devraient sâinspirer de la carte de Tendre que lâon trouve dans le roman Clélie, histoire romaine publié par Madeleine de Scudéry en 1654, et dessinée par François Chauveau. Ce chemin dâengagement reste dâune brûlante actualité. Posons que la préférence de marque par le consommateur prend ici nom de « Tendre » et explorons alors la topographie du chemin de séduction que doit emprunter la marque. Plus précisément, cette carte indique les trois sentiments qui mènent, chacun, de la rencontre (le point de contact initial) à la tendresse (la préférence), ou si cela se passe mal à lâindifférence ou à lâhostilité. Pour cela, la marque a le choix de longer trois grandes rivières.
83% de Français qui attendent des marques quâelles contribuent au bien commun.
Lâestime : lâenjeu est ici que le consommateur se reconnaisse dans les valeurs portées par la marque, dans la cause portée par sa raison dâêtre. Philip Kotler, gourou marketing sâil en est, porte la conviction dans son dernier ouvrage Brand Activism que seules les marques engagées pour un monde meilleur sauront créer un véritable actif de marque (goodwill). Soit les 83% de Français qui attendent des marques quâelles contribuent au bien commun (étude BrandGagement, Tilt by Kea). Comme lorsque Nike soutient avec succès le polarisant athlète engagé Colin Kaepernick, ou quand Câest qui le patron ?! redistribue ses résultats aux éleveurs en difficulté.
La reconnaissance : à lâheure de lâultra personnalisation de la relation, le défi est de pouvoir précéder les attentes ou dâavancer des produits et des services incomparables parce que sur mesure. Ainsi le maquilleur Lancôme, avec sa solution Teint Particulier, propose-t-il après un scan le fond de teint le plus adapté parmi 80000 nuances.
Lâinclination : par-delà la rationalité de lâestime et la reconnaissance personnalisée, encore faut-il engager émotionnellement par une direction créative aspirationnelle. Par exemple, durant le premier confinement, la campagne « Creativity goes on » dâApple valorisait opportunément la capacité à imaginer depuis ses appareils à domicile.
En ces terres de séduction, la carte de Tendre nous rappelle les écueils à éviter : ne pas se briser contre les rochers de lâOrgueil dâune marque surplombante (« not for someone like me »), ni échouer dans la Mer dâInimitié du boycott, ou encore aboutir au Lac dâIndifférence des 77% de marques qui pourraient disparaître du marché sans que rien ne manque au marché (étude Havas Meaningful brand). Pour ce faire, les marques doivent absolument éviter de sâégarer du côté de trois sombres hameaux : lâIndiscrétion à lâimage de lâaffaire Cambridge Analytics, qui a mis Facebook sur la sellette quant à son insuffisante protection des données personnelles ; la Négligence, telles ces marques qui ne font pas preuve de suffisamment de diligence sur les conditions de production de leur activité (par exemple au travers du scandale des prisonniers ouïghours) ; et lâOubli, comme tous ces programmes dâabonnement presse qui favorisent le recrutement de nouveaux venus au détriment de ceux que la MAAF appelle sans le leur dire ses « clients chouchous ».
La carte de Tendre nous rappelle les écueils à éviter : lâOrgueil dâune marque surplombante, la Mer dâInimitié du boycott, ou encore aboutir au Lac dâIndifférence.
Il se dessinerait ainsi une forme de « seduction journey » qui doit guider les marques pour ne pas sâembourber dans les marais du Lac dâIndifférence mais toucher aux précieuses rives de cette affinité tant convoitée. La vigilance reste de mise dans ces jeux de lâamour, mais pas du hasard. Derrière lâimpermanence du désir, qui par nature nâest jamais assouvi mais renaît de ses cendres à peine étanché, ce qui compte câest la permanence du positionnement de la marque, qui en est lâobjet. Comme un phénix qui renaît de ses cendres, la marque a le devoir de se déconstruire au quotidien pour sâactualiser et rester dans son temps. Et câest pour cela que la fidélité à ses racines et à sa raison dâêtre reste critique : pour ne pas se perdre dans ses nécessaires réinventions mais garder un cap stable derrière des remontées au vent qui diffèrent.
Une boussole
Sur cette question du désir et de lâidentité, écoutons en conclusion lâinvitation du philosophe François Jullien à « décoïncider » son positionnement. Car, au fond, on ne coïncide jamais avec lâétat quâon est en train dâéprouver. Avoir soif, câest décoller de cet état de soif pour le combler et lâétancher ; câest donc « mon désir qui comme expression même de la vie en moi, en me faisant décoïncider de mon état présent, qui conduisait à la mort, me maintient en vie ». Au commencement était donc, non pas le verbe, la force, la pensée⦠mais la décoïncidence. à lâinverse de lââge classique, qui avait encouragé lâidée dâune pleine réalisation par cohérence entre soi et les autres, entre le monde et sa représentation, il convient dans notre monde changeant de jouer sans cesse des écarts avec les normes et les idées reçues, car la coïncidence, câest la mort. Alors quâau contraire, la décoïncidence, « câest la possibilité dâune vie ». Aux marques donc de décoïncider leur marché pour ne pas sâenkyster dans une stérile stabilisation. Mais sans sombrer dans lâagitation, par fidélité à lâutopie qui les anime et les met en initiative vers leur monde nouveau. Soit des marques plus désirables que jamais.
Article extrait de la revue 37 d’INfluencia : LE DÃSIR
source : www.influencia.net