« Les non-vaccinés, jâai très envie de les emmerder. » Dans le flux dâun échange qui durait déjà depuis plus dâune heure, la réponse dâEmmanuel Macron à deux soignantes est passée presque inaperçue pour les participants du Face aux lecteurs organisé début 2022 par Le Parisien avec le président de la République. Mais à peine lâinterview publiée sur le site du quotidien, les politiques et éditorialistes se sont emparés de la phrase avec des critiques portant moins sur la stratégie que sur la forme, éludant le contexte dans lequel elle avait été prononcée. Et pourtant⦠« Face aux questions que les lecteurs posent aux invités, les discours des politiques, chefs dâentreprises, sportifs ou artistes sont moins policés que ce quâils diraient à des journalistes. Ils sont dans une sorte de discussion dâégal à égal, avec une franchise qui amène de lâauthenticité à lâéchange », témoigne Pierre Chausse, directeur délégué des rédactions au Parisien. Lâintérêt du public tranche aussi avec la hiérarchie journalistique. Dans le Live présidentiel de TF1 et 20 Minutes, les internautes ont ainsi interrogé Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot sur le film Donât Look Up : déni cosmique qui cartonne sur Netflixâ¦
Si le dialogue avec les auditeurs est une marque de fabrique de la radio avec les emblématiques Le téléphone sonne (France Inter), Les auditeurs ont la parole (RTL), les nocturnes de libre antenne, etc., le numérique a marqué un tournant dans la proximité de tous les médias avec leur public. Les commentaires des internautes sont une mine dâinformations pour alerter les rédactions sur des sujets, corriger les erreurs, identifier des experts ou des témoins : « Il y a forcément un spécialiste du sujet dans nos 25 millions de lecteurs mensuels ! Lors des élections américaines, les Français repérés dans tous les Ãtats du pays ont été une vraie force pour suivre la campagne. Les papiers qui buzzent ou sont les plus partagés montrent à quel point les lecteurs se sentent concernés », détaille Bertrand Gié, directeur délégué du pôle News du Figaro.
Un lien en crise
Par habitude ou par confort, beaucoup de rédactions restent pourtant sur une logique dâoffre voire dans un entre-soi, qui leur a été reproché au moment des Gilets Jaunes. « Au-delà des aspects économiques et de la transition technologique, les médias sont confrontés à une crise du lien aux publics, qui leur trouvent moins dâintérêt car ils se sentent moins représentés », observe Nathalie Pignard-Cheynel, professeur à lâUniversité de Neuchâtel et directrice de lâAcadémie du journalisme et des médias (AJM), qui a mené un projet de recherche autour des liens entre médias locaux, journalistes et publics. Les catastrophes et les grands rendez-vous citoyens font office de catalyseurs dâinnovation : « Des moyens importants sont consacrés pour recréer du lien, car les attentes sont énormes. Les dispositifs testés sont parfois pérennisés et marquent une évolution à plus long terme », ajoute-t-elle.
Lâélection présidentielle en est lâillustration. Le Monde était allé « voir comment vont les Français » et leur avait donné la parole dans une série de cent reportages Fragments de France qui racontait leurs doutes, leurs rêves et leurs peurs, et part chaque semaine « à la rencontre de la France ordinaire » avec La France buissonnière. En ce début dâannée, on ne compte plus les rendez-vous politiques qui mettent les candidats face aux citoyens. Certains se déplacent ou recueillent les témoignages en région comme Le Grand Face-à -face XXL (France Inter et Marianne), La France dans les yeux (BFM TV) ou Ma voix compte (France info). Dâautres intègrent le public dans leur dispositif avec un panel de Français en visio dans Ãlysée 2022 (France 2) ou six abstentionnistes en plateau dans Mission convaincre (LCI). Valérie Pécresse avait jugé lâexercice plus rude quâun débat avec un adversaire politique : « Câest émotionnellement dur, car vous nây croyez plus », avait avoué la candidate en fin dâémission.
Le dialogue en circuit court
Chez ceux qui nâont pas décroché du débat public, lâenvie de participer est au beau fixe ! La technologie ouvre les horizons : « La place du lecteur, centrale au Parisien, sâentretient sur le numérique et les réseaux sociaux. Un outil de direct interactif permettra bientôt de poser les questions en direct sur notre site, par exemple pour échanger avec le chef du service politique. à chaque échéance électorale, nous relançons notre Laboratoire des propositions pour faire remonter des idées », précise Pierre Chausse. Fin août 2021, France Bleu a lancé avec Make.org et France 3 Régions la plateforme Ma France 2022 : quelles priorités pour notre pays demain ? « En tant que porte-parole des territoires, nous voulions formaliser à lâéchelle nationale ce dialogue en circuit court que nous pratiquons au quotidien en région. Beaucoup de solutions qui remontent sur la plateforme ont été testées localement et seraient réplicables », explique Erik Kervellec, directeur de lâinformation du réseau local de Radio France.
Mi-février 2022, plus de 920000 participants avaient formulé quelque 33500 propositions et généré près de six millions de votes. Au fil des mois, lâantenne nationale et les 44 locales de la station se sont nourries des résultats, mais ces propositions ont surtout été réunies dans un « agenda citoyen » remis aux candidats. Câest sur les dix thèmes qui intéressent le plus les Français â et pas sur leurs programmes â que France Bleu les interrogera jusquâà la fin du processus électoral. « Tous les médias revendiquent la voix des Français. La consultation citoyenne est un dispositif massif qui nous permet dâêtre plus convaincants. Avant, les politiques nous considéraient comme des gens sympathiques. Là , ils nous écoutent et France Bleu est devenue légitime dans le débat politique national », poursuit-il.
Le public en direct ?
La rubrique Le 20H vous répond de TF1 reçoit environ 200 questions par jour, dont les principales sont relayées en plateau par la journaliste Garance Pardigon. à côté des messages écrits et vocaux, les téléspectateurs peuvent désormais poser leurs questions en vidéo. « La technologie mise en place par la start-up VoxM permet de faire entrer le public physiquement sur lâantenne sans les renvoyer sur les réseaux sociaux, mais tous les téléspectateurs ne sont pas prêts ou à lâaise pour prendre ce petit instant warholien à la télé », souligne Yani Khezzar, responsable Innovation pour lâinfo de TF1. Maîtrise de lâantenne oblige, les vidéos diffusées sont préenregistrées. Il reconnaît quâil serait « préférable dâavoir la personne en direct », mais le risque de dérapage est important : « Entre le moment où la rédaction voit la vidéo sur la plateforme, la sélectionne et lâenvoie en plateau, il peut se passer seulement quelques minutes. Câest presque du direct⦠On regarde comment proposer cette interactivité sur dâautres contenus dâinformation. »
Le déferlement de propos violents ou haineux, et des fake news sur Internet et les réseaux sociaux, nâépargne pas les médias. Compte tenu des audiences, la modération des commentaires nâest pas une mince affaire ! Le Figaro reçoit un commentaire toutes les deux secondes, quâil modère dans la demi-heure, 24 heures sur 24. « 20% des commentaires sont rejetés et non publiés. Câest beaucoup, mais bien moins que dâautres médias », note Bertrand Gié. Fin 2021, le quotidien a décidé de réserver lâécriture des commentaires (mais pas leur lecture) à ses 250000 abonnés numériques, comme une sorte de privilège, mais sans lien direct avec la présidentielle, assure le directeur du pôle News : « Au fil des ans, le débat et lâexpression des opinions ont trouvé leur place ailleurs que sur nos pages. Il devient moins indispensable dâouvrir à tous des commentaires, dont la modération mobilise beaucoup de temps et dâargent, et qui nous exposent potentiellement à des problèmes importants en tant quâéditeur. » Dans un paysage élargi, où tous les pourvoyeurs de contenus nâont ni les mêmes contraintes ni la même mission, la proximité des médias avec les audiences sera clé pour renouer le lien et la confiance. Un avenir à coconstruire car, si les médias proposent, câest toujours le public qui disposeâ¦
source : www.influencia.net