Depuis au moins une quinzaine dâannées, les marques et les agences expérimentent au quotidien la course quasi frénétique aux technologies innovantes et aux infrastructures pour servir leurs stratégies de marketing et communication. Suivant le courant dâun métier qui ne cesse de se réinventer, leurs ressources humaines se forment en permanence à des compétences nouvelles. Au cÅur de ces changements : le digital, et avec lui la data.
Pour beaucoup de (grandes) marques, il est devenu impératif de maîtriser en direct la collecte, le traitement et lâutilisation de la data à des fins diverses â connaissance et relation client, analyse dâaudiences, positionnement, achat média, mesure des performances⦠« Câest aussi un enjeu dâindépendance vis-à -vis des plateformes », déclare Anne-Sophie Cruque, directrice générale de Publicis Media, en faisant référence à la montée en puissance des Gafam. Les finalités du recours aux données étant très nombreuses et les volumes disponibles de ces dernières croissant à un rythme exponentiel, comment, en fin de compte, cerner et maîtriser la data véritablement utile ?
Pour répondre à cette question, INfluencia a rencontré cinq marques : le groupe SEB, fabricant de biens dâéquipement, un secteur longtemps dépourvu de relation directe avec ses clients et prospects ; La Redoute, pionnier de la vente à distance devenue marketplace ; Fnac Darty, retailer « historique » français ; Yves Rocher, botaniste et producteur de cosmétiques issu de la vente par correspondance ; et Flying Blue, le programme de fidélité dâAir France-KLM. Nous en ressortons convaincus : la data utile est au cÅur de leurs enjeux marketing et business, et câest un sujet tentaculaire, complexe et mouvant.
La data à votre service
« La data utile est celle qui nous permet de mieux comprendre les comportements des consommateurs et dâidentifier des opportunités dâinteraction avec eux : câest un starter de discussion très stimulant, qui sâinscrit dans une réalité dâusage », résume Benoît Bertrand, DGA et directeur de la stratégie chez Isobar France, agence qui accompagne Flying Blue. Il y a en effet la data qui permet de séduire et de créer du lien. Il y a la data qui transforme et qui vend, celle qui mesure et qui corrige et sans laquelle on ne peut tenir sa promesse. Il y a également la data qui dérange et dont il faut expliquer lâutilité. Parfois il nây a pas de data du tout et il faut la créer⦠Bref, derrière le nouveau paradigme du data marketing, on retrouve autant dâenjeux que de stratégies, autant dâusages et utilités que dâobjectifs, des opportunités mais également des risques quâil faut savoir maîtriser.
« La data doit se mettre au service de la stratégie », rappelle Magali Mayanda, directrice marketing de Flying Blue. Cela suppose de se poser les bonnes questions en amont, en cohérence avec ses objectifs et sa stratégie, et de disposer des bonnes ressources humaines et technologiques pour la collecter et lâexploiter. « Il faut aborder le sujet avec humilité et pragmatisme et se mettre à lâaffût de toute information pertinente, dans une logique de test and learn permanente », conseille Guillaume Planet, vice-président marketing et communications du groupe SEB.
La data pour exister
« Les marques ont toujours eu besoin de données, ce nâest pas nouveau dans le marketing et le business, pensez aux études de marché et aux panels de vente », rappelle Guillaume Planet. Preuve du rôle stratégique des données, le groupe SEB a dû se transformer en profondeur pour corriger le fait quâil nâen nâavait pas ! « Pour des acteurs comme nous, historiquement représentés par les retailers, câétait un énorme enjeu dâêtre dépourvus de data », déclare-t-il, en se souvenant de son arrivée dans le groupe, il y a sept ans.
Pour établir un lien direct avec ses consommateurs, la marque alimente en permanence ses propriétés digitales (site, application, pages sociales) avec du contenu engageant. « Ce virage vers le numérique a représenté une fantastique opportunité pour nous de mieux faire notre travail en accédant à une information nouvelle, variée et changeant à une vitesse exponentielle, câest pourquoi nous avons fait de la data propriétaire notre grande priorité », raconte-t-il. Ãtre là où les consommateurs se trouvent, là où ils lisent, écoutent, se renseignent, achètent, câest accéder à des informations et des opportunités en or pour rentrer en contact avec eux, les attirer et mesurer la performance de ses initiatives.
Pour opérer cette transformation, SEB a dû investir lourd en technologie et infrastructures, et accompagner le changement des compétences de ses ressources humaines en sâappuyant sur une réallocation sévère de ses budgets marketing. Les investissements sur les canaux offline ne pèsent plus que 50% aujourdâhui, contre 90% en 2014.
La data pour tenir sa promesse
Samir Amellal, directeur data de La Redoute France et International, sait de quoi on parle quand il sâagit de planifier des investissements ou dâévaluer les nouvelles technologies lui permettant dâaccéder à une data utile. Avec 600 fournisseurs dans sa marketplace, en plus de ses propres marques et dâun stock porté, faisant 2,3 millions de références au total, la data est un enjeu prioritaire pour lâe-commerçant. Câest ce qui lui permet de répondre aux attentes de ses clients dans un contexte concurrentiel devenu encore plus rude depuis la pandémie. « Je ne peux laisser échapper une intention dâachat dans notre environnement hyper concurrentiel, et la data est déterminante pour cela », explique celui qui copilote également pour le gouvernement une mission sur lâIA dans les grandes entreprises. Ãtant capable de détecter un comportement ou une intention dâachat â par exemple, une requête sur un moteur de recherche ou la lecture dâun article sur un produit â la marque peut choisir de payer le prix fort pour tenter de gagner lâenchère et le droit dâadresser son message aux consommateurs au bon moment.
Il ne suffit cependant pas de vaincre la bataille de lâattention : la data doit permettre à la place de marché de tenir sa promesse, et ce à plusieurs niveaux. Dâabord en anticipant les risques de rupture, dâautant que La Redoute ne stocke pas les produits de ses 600 vendeurs. « Nous avons développé un outil de tracking et des algorithmes qui nous permettent de prédire les risques de retard et de rupture de nos vendeurs, et ce pour aider ces derniers à bien choisir les offres quâils diffusent sur notre site. » Même chose pour les prix : grâce à la data et aux algorithmes, La Redoute détecte et corrige des erreurs de prix avant que le message nâarrive au consommateur. Et quand il nâest pas possible dâanticiper, les données permettent de modifier la publicité en temps réel, en fonction des stocks disponibles, et ce même dans le cas dâe-mails déjà diffusés.
Poussant plus loin ses ambitions, La Redoute mise sur la data pour dans un avenir proche détecter des risques élevés de problèmes de livraison afin dâavertir ses clients avant même que cela ne se produise. Si la marque réussit son pari, elle fera sans doute plus que tenir sa promesse : elle enchantera sa clientèle.
La data de la relation client : moins et mieux
La perception que les consommateurs ont de lâutilité de la data est au cÅur des réflexions de Karine Chouchou, directrice cycle de vie data clients et fidélité du groupe Fnac-Darty. Ce dernier comptabilise 10 millions dâadhérents en France et dans le monde, et 44 millions de visiteurs uniques par mois de ses sites fnac.com et darty.com. Cette experte est convaincue quâune partie encore considérable de la population française refuse de partager ses données pour se protéger, par manque dâinformation. « La data peut avoir plusieurs utilités, mais pour cela il faut que nous et les consommateurs puissions savoir à chaque fois pourquoi nous la récupérons et la conservons », déclare-t-elle. Câest pourquoi elle entend renforcer les initiatives dâinformation et de communication sur ce sujet dès 2022. « On doit tendre vers une situation où le client est systématiquement informé de la raison pour laquelle on lui demande ses données, que lâon nâutilisera quâavec son accord et à bon escient. »
Si cette priorité donnée à lâinformation sur lâutilité de la data relève dâune volonté affichée par le groupe de renforcer la transparence et la confiance dans la marque, elle nâen est pas moins une tactique trouvée pour sâassurer dâune plus grande qualité de la donnée récupérée : « Une data utile doit rester fraîche, et pour y accéder il nous faut pouvoir échanger davantage avec nos clients », ajoute-t-elle. Une date de naissance ou un centre dâintérêt peuvent, par exemple, servir à sécuriser la relation commerciale, à enrichir la connaissance client et à adapter des promotions. « Mon client ne souhaitera me fournir ces informations que sâil comprend quâil a un intérêt à le faire : il sera avantagé avec du conseil, une expérience personnalisée et des informations pertinentes, câest un échange win-win », confirme-t-elle.
En se concentrant sur une data plus qualitative et sans doute moins volumineuse, Fnac-Darty cherche à relever un autre défi : celui de simplifier la tâche de faire le lien entre les différents points de contact avec chaque client et prospect. Issues de canaux et formats divers â mobile, site, application, magasin physique, réseaux sociaux⦠â ces données sont encore traitées en silos par lâenseigne. Le but à terme est de cerner en temps réel les dynamiques dâun comportement omnicanal afin de mieux interagir avec chaque consommateur. Mais est-ce vraiment possible ?
La data propriétaire : planche de salut ?
La promesse de lâomnicanalité est depuis longtemps mise en avant par lâindustrie des technologies marketing et publicitaires. La réalité semble cependant plus nuancée. Cette promesse se base en grande partie sur la « data propriétaire », soit les données que les marques et éditeurs disposent en direct de leurs clients et lecteurs repérables grâce à leur identifiant (ID). Mais pour que le principe dâun ID repérable quel que soit le point de contact soit opérationnel, les marques doivent traiter et consolider une donnée volumineuse et mouvante, dont la gouvernance est complexe. « Pour que la data soit utile, il faut quâelle soit accessible et facilement actionnable, et la multiplication de points de contact et donc de données disponibles complexifie la tâche », explique Louise Elineau-Bleu, directrice e-commerce, communication et transformation digitale dâYves Rocher.
Acteur historique de la vente par correspondance, Yves Rocher place les données CRM au cÅur de son modèle depuis sa création, il y a soixante ans. Aujourdâhui, avec sa plateforme e-commerce, ses 3 100 boutiques en France et dans le monde et ses 30 millions de clients, dont 8 millions dâencartés en France, Yves Rocher dispose dâune data précieuse, qui lui sert à plusieurs titres. Dâabord, à la personnalisation et à la mesure de la relation client. Ensuite, à lâacquisition de leads, la donnée CRM fonctionnant comme boussole et modèle pour lui permettre dâadresser le bon message aux bonnes cibles sur le Web et les réseaux sociaux.
Surtout, cette data propriétaire permettra à la marque de traverser dans de meilleures conditions les vents et marées dâun écosystème digital qui impose des restrictions grandissantes au ciblage et à la mesure des campagnes publicitaires. Louise Elineau-Bleu reconnaît que les marques disposant dâune relation directe avec leurs consommateurs seront moins impactées par les changements en cours et à venir, mais avec une précision : « Cette âdata propriétaireâ nâappartient pas aux marques en réalité, mais aux consommateurs, et nous devons toujours leur offrir un maximum de transparence sur lâusage que nous en faisons. » De fait, entre les enjeux du business et de transparence envers les consommateurs, la data est au cÅur de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et lâindustrie de la publicité multiplie les initiatives pour sâemparer du sujet.
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source : www.influencia.net