The Good : Vous avez récemment lancé la plateforme Impact.gouv.fr. Quels en sont les objectifs ? Comment cela sâinscrit-il dans lâécosystème de la mesure dâimpact et des labels ?
Olivia Grégoire : Il y a une réglementation qui arrive, à laquelle les entreprises doivent se préparer, et le rôle de lâÃtat est de les y aider en créant les outils et lâenvironnement nécessaires. Plutôt que de laisser les entreprises se débattre avec les futures obligations extra-financières, je veux les aider à se battre. Pendant 9 mois, avec mon équipe, et en co-construction avec les entreprises, nous avons fait un gros travail, allant de la définition et lâalignement sur les 47 indicateurs proposés jusquâà lâergonomie de la plateforme et sa communication.
Cette plateforme câest en quelque sorte le centre dâéchauffement de lâimpact, pour que toutes les entreprises puissent avoir un lieu où sâacculturer aux critères ESG (environnementaux, sociaux, et de bonne gouvernance), comprendre les tenants et aboutissants des nouvelles réglementations, et aussi sâexercer à commencer à publier une partie de leurs données extra-financières.
Elle a deux grands objectifs : premièrement, être un hub de ressources, de « savoir-faire », car il y a de multiples indicateurs et réglementations â des ODD aux indicateurs de lâOCDE, différents labels, certains sectoriels, différentes certifications, beaucoup dâoutils et de connaissances à partager. Mois après mois, nous allons enrichir les ressources documentaires, les approches, pour que les entreprises puissent avoir accès à ce qui se fait, ce qui se dit, sur ce champ extra-financier qui est le sens de lâhistoire, que lâon lâappelle impact, ESG ou responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Deuxièmement, cette plateforme a vocation à « faire savoir », ce que les entreprises font déjà en matière environnementale, sociale et de bonne gouvernance, indépendamment des réglementations à venir.
The Good : Quels sont les premiers enseignements que vous en tirez ? Quelles sont les prochaines étapes ?
Olivia Grégoire : Nous avons lancé cette plateforme le 27 mai dernier avec 100 entreprises pionnières, dont nous rendons publiques le 20 juillet, pour celles qui lâont souhaité, les jeux de données brutes. Dès la rentrée, dâautres données seront libérées, avec pour ambition dâatteindre dâici la fin de lâannée 1000 entreprises publiant des données sur impact.gouv.fr. Dâun point de vue opérationnel, cette plateforme permet aux entreprises de « dégonfler » leurs peurs face aux indicateurs. Elles se rendent souvent compte quâelles disposent déjà de nombreuses données. Rien de tel quâun exercice dans le réel pour désamorcer les appréhensions. Nous constatons aussi que plus des 2/3 des contributions sur la plateforme viennent de TPE et PME, ce qui permet de souligner non seulement que la performance extra-financière nâest pas lâapanage des grands groupes cotés, mais en plus que ce service répond sinon à un vrai besoin.
Dès la rentrée, nous ferons évoluer la plateforme. Les entreprises sont très désireuses de pouvoir bénéficier dâoutils dâaccompagnement et dâautodiagnostic pour mesurer leur performance individuelle et les progrès réalisés. Celles qui le souhaitent pourront donc accéder à leur propre tableau de bord et voir comment évolue leur impact environnemental, social et de gouvernance.
The Good : Comment faire pour que les entreprises françaises saisissent pleinement ce besoin de transformation de leurs activités ?
Olivia Grégoire : On a tout dâabord le plan de relance, dont au moins 30 milliards dâeuros seront dédiés uniquement à la transition. Tout lâenjeu est de passer des paroles aux actes, des mots aux preuves : câest ce quâattendent les consommateurs, les investisseurs, les épargnants, les salariés. Lâincantation du Good ne fait pas avancer les choses.
Le temps du Good déclaratif est à son crépuscule. Lâimpact, lâextra-financier, câest le POC (proof of concept), la preuve du Good. Toute mon action depuis 2017, câest lâengagement des entreprises sur lâaction. Avec la loi Pacte jâai créé des outils, notamment lâentreprise à mission, la raison dâêtre. Avec la plateforme impact.gouv.fr, jâencourage les entreprises à passer à une logique de preuve : « montrez, avec des faits et des chiffres étayés, que la déclaration de votre mission ou de votre raison dâêtre est fondée de façon tangible ».
The Good : Vous portez régulièrement la voix de lâéconomie responsable au niveau européen. Comment la France se positionne-t-elle par rapport aux autres pays européens ? Est-elle en avance/ en retard ?
Olivia Grégoire : La France nâa pas, parmi ses caractéristiques, dâavoir toujours confiance en elle. Sâil y a un sujet sur lequel il faut que lâon croie en nous, câest lâimpulsion que lâon donne depuis 2017, avec le Président de la République, à la nécessité de moderniser et dâadapter notre capitalisme aux nouveaux enjeux de responsabilité. La France est une locomotive en matière de responsabilité sociale des entreprises. Par exemple la plateforme Impact : il nây a pas un pays en Europe qui a fait ce quâon a fait !
Comme le dit Paul Eluard, « il nây a pas de hasard, il nây a que des rendez-vous ». Ce nâest pas un hasard si les accords de Paris sâappellent les accords de Paris. Ce nâest pas un hasard si la première puissance mondiale à avoir émis des social bonds en 2017, câest la France. Ce nâest pas un hasard non plus si depuis 2014, et la directive européenne sur la RSE (Non Financial Reporting Directive), beaucoup dâentreprises françaises publient leurs informations extra-financières sans y être contraintes. Et ce nâest donc pas un hasard si aujourdâhui, aux côtés de nos alliés européens, la France cherche à créer un effet dâentraînement ambitieux en matière de responsabilisation du capitalisme.
The Good : La France prendra le 1er janvier 2022 la Présidence de lâUnion Européenne. Quels sont les sujets en matière dâéconomie responsable que vous porterez pendant cette présidence ?
Olivia Grégoire : Il appartiendra au Président de la République dâannoncer les priorités de la Présidence de lâUnion européenne. Sur le plan de lâéconomie responsable, nous travaillons depuis un an sur deux sujets majeurs. Le premier, câest le projet de directive CSRD â pour Corporate Sustainability Reporting Directive â qui a pour enjeu de faire en sorte que lâEurope puisse bâtir son standard européen en matière de performance extra-financière, par la considération de lâimpact environnemental, social et de gouvernance des entreprises. Câest un enjeu de souveraineté : nous ne pouvons pas envisager de déléguer la création dâune telle norme à une puissance non-européenne, car nous souhaitons que cette norme incarne le modèle européen. Câest à lâEurope, aux Ãtats membres, de dire quels sont les axes majeurs pour eux, au plan environnemental, social, et de gouvernance qui caractérisent ce modèle. Nous aimerions que ce sujet aboutisse durant la Présidence française.
Deuxième sujet : mettre en place un devoir de vigilance européen raisonné et raisonnable. Le devoir de vigilance vise à assurer lâalignement entre le produit responsable et la conduite de lâentreprise qui le produit. Quelle serait la conséquence dâun produit écologiquement responsable, mais qui aurait par exemple, était assemblé par des enfants ? Le devoir de vigilance câest faire respecter les droits humains fondamentaux dans toute la chaîne de valeur, quel que soit le rang des fournisseurs. Si nous ne le faisons pas, ce sont les entreprises elles-mêmes qui risquent dâêtre condamnées sans médiation par les tribunaux, comme par exemple Shell aux Pays-Bas.
The Good : Le Ministère apporte son soutien, par un haut patronage, au Grand Prix de la Good Ãconomie. Quelles sont vos motivations à soutenir ce prix ?
Olivia Grégoire : Soutenir les entreprises engagées, câest le sens de lâhistoire. Mettre en avant des entreprises pionnières, avant que la réglementation ne les y contraigne, câest dâabord avoir à leur endroit une reconnaissance légitime, mais câest aussi, à partir de leur engagement, essayer de créer un effet dâentraînement, pour embarquer plus dâentreprises. Câest avec plaisir et honneur que le ministère soutient ce grand prix.
Lâengagement des entreprises répond à des attentes de plus en plus prégnantes des citoyens-consommateurs. Comme le rappelle le baromètre de lâAdeme paru en juin dernier, pas moins de 72 % des Français sont mobilisés en faveur dâune consommation plus responsable. Cette exigence impacte la production des entreprises : nous cherchons tous, en questionnant la traçabilité, la provenance, à savoir dans quelle mesure le produit a été fabriqué dans une dynamique responsable. Au-delà des consommateurs, nous avons des investisseurs qui, par la régulation, et notamment européenne (cf. le règlement SFDR de mars 2021) regardent de plus en plus la performance extra-financière, lâempreinte ESG de lâentreprise, bien au-delà de la seule question du prix.
source : www.influencia.net