Couvrez ces lettres que je ne saurais voir⦠Les amateurs de Roquefort, de Mont d’Or ou de Comté, les accrocs à la saucisse de Morteau et à la rosette de Lyon, les fans de terrine de sanglier et de pâté de campagne, les stressés qui se calment en croquant un morceau de chocolat ou une galette pur beurre et les enfants qui se délectent en suçant un Carambar entre deux tartines de Nutella vont devoir faire comme Tartuffe et sortir leur mouchoir pour cacher non pas la poitrine généreuse de Dorine mais celle plus fumée des lardons de leur quiche lorraine. Mis en place en France en 2017 par lâAgence nationale de santé publique, le Nutri-Score vise à aider les consommateurs à choisir les produits en fonction de leur qualité nutritionnelle. Basé sur une échelle de 5 couleurs, du vert foncé à lâorange foncé, et associé à des lettres allant de A à E pour faciliter sa compréhension auprès du grand public, ce système dâétiquetage nutritionnel imprimé à lâavant des emballages prend en compte pour 100 grammes ou 100 millilitres dâun produit, sa teneur en nutriments à favoriser (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coques, huile de colza, de noix et dâolive) et en nutriments à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel). Ce modèle est aujourdâhui en vigueur dans six autres pays européens (Belgique, Allemagne,Luxembourg, Pays-Bas, Espagne et Suisse).
Les lobbys ont perdu
La semaine dernière, 65% des députés européens ont voté en faveur de la généralisation de ce système pour lâensemble des pays membres de lâUE. Dâici la fin de lâannée prochaine, la Commission va dévoiler un tout nouvel étiquetage nutritionnel simplifié, harmonisé, obligatoire, compréhensible, fondé sur des données scientifiques et permettant la comparaison des produits en se basant sur une même échelle. « Je ne peux que saluer la détermination des eurodéputés, se réjouit Alain Bazot, le président de lâUFC â Que Choisir. Une fois nâest (presque) pas coutume, les lobbyistes agroalimentaires nâauront pas réussi à renverser la tendance et réduire à néant lâambition initiale. Ce ne sera pourtant pas faute dâavoir essayé ! Le débat européen sâest même invité dans les médias français ces derniers jours prenant la forme dâune soi-disant bataille entre le Nutri-Score et le roquefort. »
Tous unis contre le Nutri-Score
Le patron de l’interprofession Roquefort nâa effectivement pas ménagé sa peine ces dernières semaines pour faire pression auprès des élus. «On n’est pas dans un combat contre le Nutri-Score, expliquait Sébastien Vignette dans les colonnes du Figaro, s’il est réservé aux produits industriels pré-transformés. Il est louable d’informer le citoyen. On combat l’application aux produits AOP. On vit une drôle d’époque où la complexité, la nuance ont rarement leur place. L’équilibre alimentaire, l’histoire de nos produits, c’est pas ça. Des produits industriels ultra transformés avec des conservateurs peuvent avoir A ou B, alors que nos produits de terroir très naturels sont stigmatisés ». L’AOP, qui commercialise 7.000 tonnes de Roquefort par an, nâest pas le seul à avoir poussé des cris dâorfraie pour forcer la main aux eurodéputés. Le Comité pour le Saint-Marcellin , lâAOP du Noir de Bigorre, lâIGP viticole Pays DâOc ainsi que les fabricants de Mont dâOr et de saucisses de Morteau sont tous montés au créneau.
Les politiciens dans la danse
Les produits du terroir ne sont, il est vrai, pas épargnés par le Nutri-Score. 90% des fromages français sont classés D ou E. Les députés de province ont également tenté de soutenir leurs éleveurs. Dans une question au Sénat, lâélu centriste de la Marne, Yves Détraigne a demandé, au mois de mai dernier, à ce que « les produits traditionnels, sous signe de qualité et d’origine, soient exemptés de cet étiquetage nutritionnel inadapté à la réalité de leur consommation. »Rien de moins⦠La réponse du Ministère de lâagriculture et de lâalimentation, révélée le 23 septembre, a vite douché les espoirs du sénateur.« En juillet 2020, 415 entreprises étaient engagées dans la démarche Nutri-score en France, dont les parts de marché représentent environ 50 % des volumes de vente, précise la missive. Désormais, ce sont près de 500 entreprises qui se sont engagées en faveur du logo. De même, près de 94 % des français ont déclaré être favorables à sa présence sur les emballages. Enfin, plus d’un Français sur deux déclare avoir changé au moins une habitude d’achat grâce au Nutri-Score. De nombreux travaux scientifiques ont permis de montrer que le Nutri-Score était un outil efficace pour discriminer la qualité nutritionnelle des denrées alimentaires, de manière cohérente avec les recommandations alimentaires. Concernant les aliments ultra-transformés, il n’existe pas de définition (de ces aliments) en France et les celles qui existent sont sujettes à des interprétations diverses et variées. Il n’est donc pas actuellement possible de « ranger » ces produits, et donc de limiter le Nutri-Score à leur périmètre. » Fermez le bancâ¦
Dans moins de deux ans, les européens vont donc découvrir quels sont les aliments les plus sains et ceux quâils doivent, au contraire, éviter. Les plaisirs ne sont-ils pas plus forts lorsquâils sont interdits ? Un péché est-il si grave sâil reste mignon ? à suivre avec gourmandise…
source : www.influencia.net