The Good : Quel est le point de départ dâHumando ?
Sébastien Moriceau : Lâhistoire dâHumando remonte à pas plus de 25 ans. Le projet initial était de faire le trait d’union entre le besoin des entreprises sur un territoire donné et les personnes qui y rencontrent des difficultés d’insertion sociale et professionnelle. Le modèle nâexistait pratiquement pas, les premiers textes encadrant cette activité sont sortis en 1992. Avec la construction du Stade de France à Saint-Denis, le groupe Adecco a commencé à réfléchir à un modèle au service des entreprises intervenant sur ce chantier, et y associer les publics en difficulté du territoire. Câest le début de 27 ans dâengagement dans lâinsertion par lâactivité économique (IAE) et 40 000 personnes accompagnées. Nous avons toujours la même vocation : faire en sorte que les difficultés de la vie ne soient pas un frein à l’emploi, et donc de créer les solutions pour que tout le monde puisse accéder plus ou moins dans les mêmes conditions à l’emploi.
S.M : Humando aujourdâhui câest 46 agences sur une vingtaine de départements, désormais 4 000 nouvelles personnes qui sont accompagnées chaque année, 200 collaborateurs permanents auprès de 2 000 entreprises. Nous conduisons les entreprises à travailler leur ouverture dans le recrutement et dans l’approche candidat : baisser certains critères de recrutement, considérer des candidats qu’elles n’auraient pas considérer, aller chercher de nouveaux talents. Nous recherchons les candidats, les positionnons et les accompagnons. Notre but est de tout mettre en Åuvre pour être au rendez-vous des réalités de production, dâefficacité de ces entreprises, sans compromettre le projet social. Nous sommes sur une ligne de crête entre la dimension économique et la dimension sociale, mais nous croyons quâil nây a pas de performance sociale sans efficacité économique et inversement.
TG : Quels profils accompagnez-vous ?
S.M : Les personnes que l’on accueille sont orientées vers nous par les services publics de l’emploi, selon des critères très précis dâéloignement à lâemploi ou de difficulté dâaccès : des demandeurs dâemploi de longue durée, des bénéficiaires des minimas sociaux, des personnes ayant une reconnaissance de travailleur handicapé, des jeunes de moins de 26 ans sans qualification. Au-delà de ces critères administratifs, on va surtout vérifier que ça ne marche pas dans le secteur dit classique pour ces personnes. Ce sont des personnes qui ont peu ou pas dâattention quand elles poussent la porte dâune agence de travail temporaire classique parce que leur CV est bancal, quâil y a des trous dedans, que lâexpérience nâest pas au bon endroit. Ce sont des personnes qui postulent difficilement parce quâelles nâont pas les réseaux, les codes. Elles ont évidemment besoin dâêtre accompagnées dans la construction dâune trajectoire professionnelle. Nous diagnostiquons dâabord les freins, et vérifions si nous avons les moyens et les compétences de lever tout ou partie de ces problématiques
TG : A quelles problématiques vos candidats font-ils face ? Quelles sont les vôtres ?
S.M : Elles sont de toutes natures : logement, endettement, mobilité, santé, papiers, langue. Nous adoptons une approche individuelle et globale pour essayer de travailler en même temps sur la dynamique professionnelle et à la résolution de ces problèmes. Une personne est accompagnée sur une durée de 24 mois à peu près. Câest assez cadré. Nous développons toutes les solutions et toute l’énergie pour essayer de consolider le projet et de sécuriser la trajectoire professionnelle.
Parallèlement nous allons à la rencontre des entreprises, pour les convaincre. Lâenjeu câest dâavoir la confiance des entreprises, dâessayer de faire tomber quelques préjugés par rapport au statut dâentreprise de travail temporaire dâinsertion. Quand on parle d’insertion, on pense âréinsertionâ. On se bagarre contre ces schémas.
Mais notre meilleur argument câest la démonstration par la preuve. Sur 4000 personnes accompagnées câest plus de 70% de retour à l’emploi soit par le CDD de plus de 6 mois, le CDI ou la formation. Quand on parle de trajectoire professionnelle, de sécurisation, on parle de montée en compétences, d’employabilité. La formation est un levier très important et qu’on a développé énormément. 1/3 de nos publics accède à des dispositifs de formation pour renforcer leur employabilité et être plus en phase avec les besoins des entreprises. 85% de nos publics ont un niveau équivalent ou inférieur au niveau 3 dâaprès la nouvelle nomenclature de la formation professionnelle, ce qui correspond à un CAP. 10 à 15% de personnes sont à un niveau BEP, bac. Et 2 et 5% ont un niveau supérieur au bac. Un premier niveau de qualification ne veut pas dire un premier niveau de compétences. Ce qui va faire que lâentreprise va garder une personne faiblement qualifiée, c’est sa capacité à évoluer, à être polyvalente et à se positionner sur des tâches techniques. Câest pourquoi nous travaillons sur la montée en compétences, lâaccès à la formation. Nous misons sur les aptitudes, le talent, lâenvie pour. Câest ce quâon va essayer de défendre et valoriser à travers les mises à disposition successives jusquâà atteindre lâembauche.
TG : Quels sont les enjeux derrière votre dispositif ?
S.M : Les enjeux pour nous c’est évidemment de faire rentrer ce sujet-là à tous les étages des entreprises et pas simplement certaines d’entre elles, ou réserver cette activité à des secteurs d’activités qui ont une forte intensité de main dâÅuvre ou avec des publics faiblement qualifiés. Toucher les métiers du BTP mais aussi de lâindustrie, des services, de la logistique. Par exemple, nous développons de la formation dans le secteur du numérique (data, webmasters). Nous commençons à travailler dans le secteur de la santé.
Nous avons certains leviers favorables, comme lâobligation de recruter des personnes ayant une reconnaissance de travailleur handicapé. Il y a dans le code des marchés publics des conditions dâexécution de marché quâon appelle les clauses sociales. En tant quâentreprise de travail temporaire dâinsertion nous pouvons accompagner les entreprises à honorer cette obligation. Avoir développé une approche autour de lâinclusion devient une compétence pour les entreprises qui se positionnent sur ces marchés. Nous voyons aussi des entreprises qui ont la volonté de développer leur démarche dâinclusion, de diversité. Câest souvent compliqué parce que les entreprises ont de grandes ambitions, mais recruter une personne en difficulté ce nâest pas toujours super glamour.
Autre facteur favorable aujourdâhui, câest la dimension pénurique, avec des entreprises qui sont contraintes dâélargir le champ de leur recrutement et à qui aujourdâhui on peut proposer une nouvelle approche de sourcing et dâévaluation des candidats.
TG : Quelle est la force de votre dispositif ?
S.M : Lâhumain. Dans une agence dâemploi classique, un permanent peut accompagner 50 à 60 personnes. Dans une agence Humando le ratio est de moins de 1 pour 12. Ce ratio est volontairement bas car il est très difficile de travailler sur la résolution de lâensemble des problématiques, de lâaccompagnement individuel. Câest parfois un candidat qui arrive le matin à lâagence alors quâil est attendu sur son poste de travail et à qui on pose la question « pourquoi tu nâes pas au boulot ? » et qui répond « parce que jâai dormi dehors ». Le premier réflexe est de faire en sorte quâil ne perde pas son job. Régler le coup avec lâentreprise. Puis régler le coup au niveau du logement pour faire en sorte quâil ne passe pas plusieurs nuits dehors.
S.M : En premier lieu à travers le nombre de personnes que lâon accompagne, le volume réalisé. Nous sommes attentifs à lâintensité de travail quâon propose à ces personnes. Lâidée nâest pas de faire rentrer ces publics dans ces dispositifs pour quelques poignées dâheures mais de sâinscrire dans un projet, un engagement pour améliorer la situation, et quâà travers les heures réalisées elle construise des droits, qui vont lui permettre de se mettre à lâabri, dâaccéder au droit au logement, à la santé. Ce que lâon fait au quotidien câest inscrire une personne dans un projet professionnel, lui permettre dâaccéder au logement, de poser sa famille.
Quand on travaille à lâaccompagnement dâune personne, il y a un gain pour la société. Un gain à travers des coûts évités, de minimas sociaux, dâallocations, de justice. Il faut éviter la récidive.
Câest assez anecdotique mais quand dans nos agences on voit des dessins dâenfants sur lesquels il y a marqué âMerci Humandoâ avec une représentation dâune maison pour signifier quâils sont contents dâavoir un toit, cela participe à la cohésion sociale.
Les différentes études économiques considèrent que pour un euro reversé à notre activité, entre 3 et 5 euros soni reversés à la collectivité directement, par le salaire, les impôts, les cotisations et la participation à lâéconomie locale. Et à travers les coûts évités câest le double. Ce sont des arguments quâon essaye de construire pour rendre les choses un petit peu plus tangibles.
TG : Est-ce que vous sentez un réel engagement de la part des entreprises sur les sujets dâinclusion, de diversité ?
S.M : Il y a plusieurs contextes. Les grandes entreprises ont des responsables diversité / RSE, qui sont des interlocuteurs plus sensibles à notre discours. Ce qui reste difficile câest de faire le lien entre cet interlocuteur et les opérationnels. Avoir une démarche de recrutement inclusif câest accompagner les managers à gérer la diversité et à devenir des recruteurs inclusifs. Mais globalement le sujet est plus facilement abordé. Les PME ont une autre approche. On est davantage sur des approches spécialisées en apportant de la sécurité ou de lâinnovation. Ce sont des entreprises qui soit nâont pas les moyens de se structurer autour du recrutement, soit n’arrivent pas à trouver des solutions de recrutement qui correspondent à leurs besoins. Nous adoptons alors des approches assez millimétrées : faire du sourcing, mettre en place des dispositifs de recrutement pour répondre à une entreprise à un endroit, mettre en place le dispositif de formation adéquat, organiser lâintégration de la personne.
TG : Du côté de vos collaborateurs, à quelles qualités doivent-ils répondre ?
S.M : Nos responsables de recrutement sont des travailleurs sociaux parce quâils doivent savoir identifier lâensemble des acteurs en capacité de répondre à des problématiques sociales assez lourdes. Ils sont aussi commerciaux parce quâils sont en face de lâentreprise cliente. Ce sont des juristes parce que le travail temporaire est un élément très encadré par le droit. On travaille sur la prévention, la formation des risques. Nos collaborateurs ont une expertise très large, ce qui fait quâils sont durs à trouver et à former. Ils ont aussi une dimension relation publique puisquâen face ils auront la mairie, la préfecture, etc⦠Lâensemble des collaborateurs Humando sont des personnes engagées. Certaines peuvent arriver par hasard mais personne ne reste par hasard.
TG : En termes économiques, quels sont vos chiffres ?
S.M : En 2021, on a fait 48 millions de chiffre dâaffaires. La totalité de nos résultats sont investis dans le projet social ce qui permet dâêtre équipé sur un pôle formation, dâouvrir de nouvelles agences, de respecter ce ratio de 1 référent pour 12 candidats. Le budget formation câest aujourd’hui plus de 8 millions dâeuros. Câest 100 fois plus que le budget légal. Nous sommes très bien outillés et accompagnés. On est plutôt en bonne santé malgré un passage difficile comme toutes les entreprises avec le Covid. Nous avons tout perdu du jour au lendemain. Le 16 mars 2020 nous sommes passés de 2 000 personnes détachées dans les entreprises à moins de 100. Il a fallu gérer les 1 900 personnes de côté. Mais nous avons su rebondir très vite tout en gardant la confiance des entreprises.
TG : Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?
S.M : Notre objectif est de passer de 4 000 personnes accompagnées chaque année à 20 000 personnes, en ouvrant de nouvelles agences et en développant de nouvelles solutions pour 2025. On a déjà multiplié le nombre par 2. Nous mettons en oeuvre de nombreuses actions pour développer lâinclusion et la diversité dans les entreprises et sur les territoires et avoir un impact social encore plus fort.
TG : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le film pour vos 25 ans ?
S.M : Lâidée était d’essayer de mettre en avant les choses tangibles dont il est difficile de parler. Cela va faire 27 ans quâon existe et nous voulions rendre compte de notre impact dans les trajectoires des personnes que nous accompagnons. Faire en sorte qu’elles puissent s’exprimer directement plutôt qu’on le fasse à leur place. Rendre hommage au travail réalisé par nos équipes. Et essayer d’apporter un éclairage à nos parties prenantes sur ce qu’on peut faire parce quâencore une fois c’est difficilement mesurable.
source : www.influencia.net