La prochaine fois que vous dégusterez un donut avec vos amis, dans un parc dâattraction ou à la plage, profitez de cet instant joyeusement sucré où les boucliers idéologiques sont à terre pour mentionner la théorie du donut. En partant dâun innocent beignet troué au glaçage savoureux, vous aurez un boulevard pour expliquer les limites du néolibéralisme sans jamais être hors sujet. Un véritable cheval de Troie aux allures de crédule anneau comestible dont la maternité revient à Kate Raworth, une économiste britannique formée à Oxford. Cette spécialiste des inégalités a été chercheuse pour le PNUD et lâONG internationale Oxfam, avant de devenir enseignante en économie à Oxford et Cambridge. En 2017, elle couronne sa carrière avec La Théorie du Donut, lâéconomie de demain en 7 principes, un ouvrage qui sâenvisage comme une contre-proposition ambitieuse à la pensée économique dominante. Le livre deviendra très vite un best seller et ironie de lâhistoire, son livre sera sélectionné comme livre de lâannée par le Financial Times et McKinsey Business.
Plancher social & plafond environnemental
Tout commence en 2008, lorsque Kate Raworth assiste à une conférence au sujet des neufs limites planétaires et de leurs dépassements. Habituée aux variables du travail (L) et du capital (C), lâéconomiste saisit vite le rôle central des ressources (R) dans lâéconomie. Ressources que lâéconomiste Jean-Baptiste Say, dès 1803 dans son Traité dâéconomie politique, exclut de lâéquation libérale. Rompant avec la tradition classique, Kate Raworth allie ainsi les enjeux de justice sociale et environnementale autour dâun diagramme en forme de donut. Celle qui deviendra vite la « lady donut » envisage les bordures internes du donut comme les limites intérieures de notre société, câest-à -dire les besoins essentiels de lâhumanité pour atteindre lâépanouissement (santé, éducation, alimentation, logement, emploi, égalité des sexes, etc.). Ces limites intérieures sont appelées le plancher social, auquel sâajoute, aux bordures extérieures du donut, le plafond environnemental, câest-à -dire les limites de la planète (usage des sols, pollution chimique, acidification des océans, chute de la biodiversité, etc.). Et entre les limites extérieures et intérieures se dessine le fameux donut, un cercle concentrique que Raworth envisage comme un espace sûr et juste pour lâhumanité.
Un modèle crédibilisé par la pandémie
Kate Raworth identifie plusieurs zones rouges de lâéconomie actuelle qui dépassent les limites sociales et planétaires. Sur le plancher social, les questions de santé publique, dâinégalités de genre et dâéquité sociale et démocratique semblent les plus urgentes là où en matière de plafond environnemental, câest le changement climatique, la perte de biodiversité et lâusage des sols qui sonnent lâalerte. La crise sanitaire a dâailleurs révélé lâurgence à agir, que ce soit dans le creusement des inégalités ou dans la relance économique dâactivités préjudiciables aux équilibres sociaux et planétaires. La question de la pleine santé fut également visibilisée par la pandémie, révélant le rôle crucial du plancher social dont parle Kate Raworth. Lâéconomiste appelle en outre à changer de logiciel, celui du XXe siècle étant « injuste, défaillant et insoutenable ».
Prospérité plutôt que croissance
Câest pourquoi la lady donut invite à sortir du dogme de la croissance infinie, du PIB comme seule boussole dans un monde aux ressources épuisables et épuisées. Lâéconomiste britannique privilégie la notion de prospérité et lâidée dâune croissance qui, à lâimage du vivant, augmente avant de se stabiliser à maturité pour vivre dans la durée. Mais comment transformer lâéconomie pour prospérer sans croître ? à la différence des décroissants, Raworth ne fait pas de la baisse du PIB un élément central de sa théorie, notamment du fait des réticences sociales et des blocages politiques qui en découlent. Elle préfère le développement parallèle de nouveaux indicateurs qui se veulent circulaires et régénératifs, que ce soit par le recyclage, le réemploi, le partage, les énergies renouvelables… Tout lâinverse de la société industrielle qui est linéaire et dégénérative en ce que les ressources sont tout bonnement captées, transformées puis jetées. La lady donut insiste également sur la nécessité de redistribuer des richesses ultra concentrées. Aujourdâhui, les 1 % les plus riches de la planète détiennent 50 % des richesses mondiales et émettent deux fois plus de gaz à effet de serre que la moitié la plus pauvre de la population mondiale.
source : www.influencia.net