Dans cette période où il faut être « woke » à tout prix, la pub est de plus en plus montrée du doigt. Il nây a pas si longtemps, la Convention citoyenne pour le climat ne proposait-elle pas que soit imposée cette mention sur les annonces : « En avez-vous vraiment besoin ? La surconsommation nuit à la planète » ? Mais pour Valérie Sacriste, sociologue*, cette méfiance tient aux valeurs républicaines et aux représentations de la culture. Ainsi dépeint-elle le tableau : « Aux yeux de la religion catholique, la publicité est pécheresse, car elle incite à la tentation, au luxe, à la luxure. Au regard des principes de la République, elle est immorale puisquâelle appelle les individus à se détourner des intérêts de lâespace public pour leur petit bonheur privé, elle vise le recul critique et la libre conscience, demeure anti-démocratique en vantant des marques porteuses de distinctions, de frustration, dâinégalités. Enfin, aux yeux de la culture française, son expression est comprise comme vulgaire et avilissante, car elle est une culture de masse, une anticulture au sens esthético-élitiste, câest-à -dire le contraire dâune culture de la connaissance portée par les philosophes des Lumières. »
Au sortir de la crise â lâoptimisme nous démange chez INfluencia â, nous avons laissé le paperboard en libre accès à onze créatives et créatifs dâagence pour quâils nous racontent leur envie, leur regret, leur colère, leur espoir. Ils nous parlent bien sûr de responsabilité, de respect et de sincérité, mais aussi dâémotion, de rêve, de passion, de légèreté et de rire. Et câest pour cela quâon les aime et quâon aime la â bonne â pub !
Laurent Allias –Â Fondateur de Josiane, de ses Cousines et des Chatons dâOr
En quête de bon sens
Je suis né dans les années 1980. Notre rapport à la consommation et aux marques était subi : la publicité spectacle vendait du rêve, créait du manque et du désir. Jâai grandi avec Internet. Ce rapport sâest complètement inversé. Jâai pris le pouvoir. Du moins câest ce quâon mâa laissé penser. Depuis, jâai pris quelques responsabilités.
En tant que citoyen. Je suis de plus en plus conscient des forces à lâÅuvre. Et vu que je lâai compris, je joue, je pratique lâironie et parfois le cynisme : on ne me la fait pas, à moi. Je veux aussi me sentir utile dans une société qui doit se réinventer. Câest ce que jâattends des marques : quâelles me disent les choses telles quâelles sont et quâelles ne me prennent plus pour un con. Et si elles peuvent aussi être un peu utiles ou me rendre un peu utile, jâachète.
En tant que communicant. Notre société a besoin de nouveaux récits, de pédagogie, de repères : la communication a un rôle à jouer. En quoi suis-je utile ? Les marques et les entreprises doivent se le demander sérieusement. Celles qui nâarriveront pas à proposer une vraie réponse, celles qui nâarriveront pas à grandir en faisant grandir nâexisteront plus dans dix ans. Pour cela, elles auront besoin de générosité, dâhumilité et dâune forme de simplicité.
En tant que chef dâentreprise. En plus dâaider les marques, ce sont aussi tous ceux qui mâentourent que je dois aider à faire grandir.
Et pour tout ça, un peu de bon sens ne ferait pas de mal.
Stephan Schwarz – Directeur de création, BETC
Un 15 secondes nommées désir ?
Des « vrais » gens? Check.
Des décors « réels » ? Check.
Des situations « vécues » ? Check.
Des anecdotes de « tous les jours » ? Check.
Un tunnel de publicité en 2021 est un tramway de pragmatisme.
Je ne vais pas filer la métaphore du film dâElia Kazan à outrance, mais difficile de ne pas cocher toutes les cases de cette check-list.
Bienvenue dans lâhyper réalisme. Bienvenue dans le chiant. Alors, bien sûr, la crise sanitaire, la crise tout court, le pouvoir dâachat, lâincertitude, le télétravail, les discours des Gafa du «6 secondes totémiques », oui, lâheure nâest pas à la bamboche, lâheure est au rationnel. Admettons.
Mais de la même façon que A Streetcar Named Desire est devenu mythique parce quâil annonçait lâirruption du désir charnel dans lâunivers si feutré dâHollywood, la publicité doit provoquer quelque chose quâaucun i ou test quanti nâarrivera jamais à capturer : le rêve.
Certes, on ne verra plus sauter une AX dâun porte-avion ou des chevaux dans des vagues en noir et blanc pour vendre une bière. On peut dire que câest dommage, mais ça nây changera rien et on évitera de passer pour des vieux cons. Le rêve se conjugue au présent.
Rêver, câest un type sur un skateboard qui boit du jus de canneberge en chantonnant du Fleetwoord Mac, ou le retour de Marmite dans les rues. Rêver, câest accepter que nous aspirons à plus que de voir la photocopie dâune copie de nos vies dans un écran.
Audrey Tamis – Executive Creative Director, Proximity Paris (TBWA)
Dis-moi ce que tu fais, je te dirai ce que tu désires
En 2020, le virus a vidé les rues. The Big Issue, journal des sans-abris, ne sâest plus vendu. Par une idée machiavélique, lâun des plus beaux exemples de « connected creativity », le journal a offert un profil LinkedIn à chaque vendeur et retrouvé sa clientèle dâorigine, pour recréer virtuellement le lien des rues. Le cadre qui passait chaque matin devant tel vendeur lâa recontacté et les ventes sont reparties, plus nombreuses. Alors, oui, la créativité, dans son expression connectée, peut réveiller le désir réfréné !
Longtemps on devinait le désir et on en tirait le fil, on ajoutait des ficelles, tiens, une poulie, pourquoi pas. Voilà ! Câest fait, un film qui mâintercepte et, câest décidé, il me faut ce frigidaire. Chaque jour, ouvrir ce frigidaire me replongera dans lâhistoire qui mâavait arrêtée, riche de sa Big Idea.
Aujourdâhui, on essaie moins dâimaginer les désirs qui pourraient bouillir, qui sait, si on les attisait. On analyse ce que chacun fait, on mesure ce quâil a déclaré aimer. On déduit ce quâil aimera forcément un jour, et on conclut que oui, au-delà dâun désir déclaré, il existe un besoin. On lâassouvit.
La création ferait maintenant moins rêver parce quâelle se contenterait de convertir. Elle ne susciterait plus le désir mais réduirait brutalement une attente. Pourtant câest si facile, quand on sait Ã
qui on parle, de nouer une relation plus forte. Et qui dit relation forte dit désir plus fort! Un désir nourri de ce quâon connaît de lâautre, mieux que quiconque.
Découvrir la suite des interview dans la Revue 38 dâINfluencia DATA : La nouvelle identité ?
source : www.influencia.net