âLorsquâon regarde l’histoire des 200 dernières années, on voit qu’en réaction aux changements technologiques, il y a eu un mouvement de balancier entre démocratie et dictature,â explique lâhistorien. Mais si depuis la seconde moitié du XXe siècle, âla technologie dominante a favorisé la démocratieâ, il nây a pas pour autant de âloi naturelleâ qui implique que les nouvelles technologies bénéficient nécessairement à la démocratie⦠Autrement dit, le mouvement de balancier pourrait repartir dans lâautre sens !
LâIA facilite la concentration des informations
Lâauteur de « Sapiens » alerte notamment sur les risques de lâintelligence artificielle, une technologie qui âsemble être de façon inhérente propice aux dictaturesâ, car elle facilite le contrôle centralisé au détriment de lâaspect distribué du contrôle, propre aux démocraties. âPar sa nature même, lâIA tend à lâautoritarisme, parce quâelle rend beaucoup plus facile la concentration des données et des informations au même endroit.â
Pour illustrer son propos, Yuval Noah Harari fait une fois de plus appel à lâhistoire : âlâURSS a essayé de collecter et centraliser toutes les informations au même endroit, avant de les analyser et de prendre les décisions. Câétait un système beaucoup moins efficace que le modèle démocratique, qui distribue les informations et, in fine, le pouvoir de décision. Avec lâIA, ça devient au contraire beaucoup plus facile : cela pourrait devenir un avantage pour les modèles autoritairesâ.Â
Une nouvelle guerre froide, un nouveau rideau de fer
A ce titre, lâissue de la lutte technologique et idéologique entre les Etats-Unis et la Chine – la ânouvelle guerre froideâ- sera déterminante. âNous assistons à lâémergence d’un nouveau type d’impérialisme, dont le contrôle des flux de données est lâaspect le plus crucial. Si vous contrôlez les données du pays, et si vous contrôlez son infrastructure numérique, alors vous contrôlez ses actifs les plus vitauxâ explique Yuval Noah Harari.Â
Pour lui, c’est simple : nous sommes entrés dans « les premières étapes d’une guerre froide numérique. De la même manière que le rideau de fer tombait après la seconde guerre mondiale, il y a maintenant un rideau de silicium qui divise le monde. Le code qui s’exécute sur votre smartphone et sur votre ordinateur détermine de quel côté du rideau vous êtes. » Il va même plus loin, en évoquant un « nouveau colonialisme » : « un colonialisme des données, qui se traduit par des flux de données des colonies vers le centre de l’empire, où elles alimentent la création de technologies plus sophistiquées, qui sont ensuite exportées dans un cycle continu« .
A l’écouter, le vieux continent serait totalement dépassé : âl’Europe n’est pas prête à jouer à ce jeu. Si vous regardez les dix grandes entreprises qui dominent ce domaine technologique, elles sont toutes soit chinoises, soit américaines.â Or, lâenjeu nâest pas seulement économique. Il est aussi géopolitique : âvous n’avez plus besoin d’envoyer les chars dès lors que vous pouvez couper lâaccès aux données. Imaginez la situation dans 20 ans, quand quelqu’un à Pékin, à San Francisco, ou à Washington connaîtra l’intégralité des antécédents médicaux personnels de chaque membre de votre parlement, de chacun de vos juges, de chacun de vos officiers… c’est vers ce type d’avenir vers lequel nous allonsâ.
Les réseaux sociaux, une force positive
Et quâen est-il des réseaux sociaux, si décriés ? Yuval Noah Harari se montre à lâinverse plutôt optimiste. âIntrinsèquement, ce sont des forces positives, parce quâils permettent dâinclure beaucoup plus de citoyens dans le débat public. […] Mais ils détruisent aussi toutes les institutions et les certitudes, ils créent du chaos. Cela peut sembler dangereux, mais à long terme, si on sâen sert bien, ils resteront une force positive, car davantage de gens pourront participer aux conversations.â
source : www.influencia.net